«J’ai tout enlevé, je ne veux plus rien faire. C’est 100 fois plus beau, une fille au naturel, qu’une fille toute refaite.» Parole d’experte. La pulpeuse Maeva Ghennam, ex-vedette de l’émission de téléréalité «Les Marseillais», est une repentie de la chirurgie esthétique. L’influenceuse aux 3,2 millions de fans sur Instagram et aux multiples transformations plastiques (seins, fesses, lèvres, etc.) craint, dit-elle, de «rencontrer le Tout-Puissant avec (ses) prothèses». La starlette influenceuse Nabilla (9,2 millions d’adeptes) étale ses remords, elle aussi : trop d’opérations, trop d’injections, on ne l’y reprendra plus.
Mais les états d’âme de ces ambassadrices de la beauté augmentée n’y changeront rien : jamais la planète esthétique ne s’est si bien portée. En quatre petites années, le nombre d’interventions de chirurgie plastique pratiquées dans le monde a bondi de 41%. Les actes médicaux qui, eux, se passent du bistouri, ont progressé de près de 58%. Championne du monde toutes catégories : la seringue de Botox, promesse de traits lissés et de rides gommées avec 9,2 millions de procédures en 2022, en hausse de 26%. Très loin devant l’opération chirurgicale la plus pratiquée, la liposuccion (2,3 millions d’actes).
Des dépenses mondiales en hausse moyenne de 15% jusqu'à 2030
«La croissance a connu un léger fléchissement en 2023, à +2,9% seulement, imputable à la récession touchant certains pays et à l’inflation, tempère Laurent Brones, directeur du développement du laboratoire Symatese et expert économique du sujet. Le contexte géopolitique marqué par plusieurs conflits a également eu un impact. Même si, étonnamment, l’Ukraine s’est classée en 2023 dans le top 10 des pays pratiquant le plus d’injections.» Selon les estimations du cabinet de conseil américain Grand View Research, les dépenses mondiales de médecine et de chirurgie esthétiques pesaient plus de 100 milliards d'euros en 2022 et devraient croître en moyenne de près de 15% par an d'ici à 2030.
Cette soif inextinguible de jeunesse et de beauté réjouit les fabricants d’implants mammaires, de produits injectables et de machines à lisser, à repulper ou à remodeler. De 10,9 milliards de dollars avant la pandémie de Covid-19, leurs ventes sont passées à 16,3 milliards en 2023. Et la courbe poursuit son ascension. «La gamme d'équipements et de technologies proposés par les industriels est très vaste, entre les lasers, les ultrasons, la cryolipolyse, les LED, la radiofréquence, etc., témoigne Christian Marinetti, chirurgien esthétique à Marseille et codirigeant de la clinique Phénicia. Un plateau technique bien équipé coûte entre 1,5 million et 2 millions d’euros. Et les machines, commercialisées entre 40000 et 80000 euros l'unité, sont vite obsolètes…»
Hommes, femmes, jeunes, vieux : tous clients, partout dans le monde
Partout, on veut un visage rajeuni, une silhouette affinée. Bon indicateur de cette demande qui ne connaît ni frontière ni religion : la nationalité des 18650 professionnels du sujet, praticiens mais aussi industriels et investisseurs, qui se sont retrouvés à Paris, en février dernier, pour leur grand-messe annuelle. 561 Sud-Coréens, 501 Saoudiens, 382 Iraniens, 316 Ukrainiens, 273 Irakiens, 245 Indonésiens et 200 Chinois y côtoyaient les gros bataillons venus des Etats-Unis, numéro 1 des interventions non chirurgicales, et du Brésil, médaille d’or de la chirurgie plastique. Un duo de tête qui devance le Japon, le Mexique et la Turquie. Seule exception à cet engouement globalisé : le continent africain, dont les deux tiers des Etats ne comptaient aucun représentant.
Le recours au bistouri et aux injections n’attend plus le nombre des années. Depuis 2019, les 18-34 ans en consomment davantage que leurs aînés de 50-60 ans. Et les mineurs piaffent d’impatience à la porte des cabinets. «Nous sommes confrontés à la demande de très jeunes filles qui demandent une augmentation mammaire, témoigne Gérard Flageul, chirurgien plastique à Paris. On leur dit : "Revenez quand vous aurez 18 ans." Et on les revoit souvent le jour de leur anniversaire!»
Les réticences des hommes à franchir, eux aussi, la porte des spécialistes de l’esthétique médicale fondent avec les années. Au niveau mondial, ils représentent aujourd’hui environ 14% de leur patientèle. Leurs interventions favorites ? La liposuccion, la correction des paupières et les injections de Botox. Les Français ne sont pas en reste. Claude Le Louarn, chirurgien plasticien à Paris, en dénombre «10 à 20%» dans sa salle d’attente. Ils sont plus nombreux, jusqu’à 30%, à fréquenter assidûment les chaînes tournées vers la médecine esthétique, telles Lazeo ou la Clinique des Champs-Elysées.
La révolution du Botox et de l'acide hyaluronique
Dans l’Hexagone comme ailleurs, les seringues et les lasers font de l’ombre au bloc opératoire. La beauté n’est plus l’apanage des 1200 diplômés de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, seuls pros du scalpel autorisés à retoucher n’importe quelle partie du corps – les experts de la chirurgie maxillo-faciale devant se limiter, eux, à la face. Tout a changé voilà deux décennies avec l’arrivée en France du Botox, idéal pour empêcher l’apparition des rides, puis de l’acide hyaluronique, parfait pour redonner du volume à un visage, ainsi que des fils tenseurs qui remplacent le lifting. Trois armes de rajeunissement massif à la disposition des médecins esthétiques. Moins coûteuses qu’un passage sur le billard, elles n’obligent pas à rester chez soi pour planquer ses ecchymoses. «Avant, on regardait avec commisération ces généralistes et ces dermatologues qui n’avaient à leur disposition que les peelings ou le collagène, raconte Gérard Flageul. Aujourd’hui, tous les chirurgiens font également de la médecine esthétique et celle-ci gagne des parts de marché.» Elle fait de nouveaux adeptes, tel l’ancien ministre Olivier Véran, neurologue de formation, qui a annoncé en mars dernier rejoindre la Clinique des Champs-Elysées, à Paris. Il y a finalement renoncé pour se présenter aux élections législatives dans la première circonscription de l'Isère et devenir consultant en neurologie au CHU de Grenoble.
De nombreux généralistes l’ont précédé sur cette voie très lucrative. «On estime qu’ils sont entre 8000 et 12000, indique le Marseillais Jean-Luc Jauffret, président de la Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens. Et on constate une accélération du nombre de jeunes désireux de faire ce choix dès la fin de leurs études, ainsi que de plus âgés tentés par une reconversion.» Avec les 3000 à 4000 dermatologues dévoués à l’esthétique, voilà des milliers de praticiens qui ne soignent plus les grippes et ne traquent plus les carcinomes. «A Marseille, il faut patienter huit mois pour une verrue, une semaine seulement pour des injections de Botox!», s’insurge le docteur Jauffret.
La médecine esthétique, une spécialité sans diplôme
Jusqu’à présent, curieusement, aucun diplôme n’est exigé des généralistes pour pratiquer la médecine de la beauté. Des formations existent, notamment à la faculté de médecine de Créteil (Val-de-Marne). Des groupes privés en prodiguent également, tels l’espagnol Amir, qui propose 10 modules de cours sur huit mois facturés 11000 euros.
Serpent de mer de la profession, un parchemin officiel devrait bientôt être indispensable. Les généralistes qui ont déjà leur plaque disposeront de quelques années pour obtenir le sésame en faisant valider leur expérience. Les étudiants volontaires, eux, suivront un enseignement spécifique. Ils devraient être entre 20 et 30 nouveaux diplômés chaque année. «Chirurgiens plastiques et dermatologues se sont mis d’accord sur le contenu du programme sans nous consulter, nous, médecins», regrette le Parisien Jean-Jacques Deutsch.
Alerte aux "fake injectrices"
L’envie de ressembler à son top model ou à son influenceuse préférée est telle que les plus jeunes recourent aux services de pseudo-injectrices dénichées sur les réseaux sociaux. Sur Instagram ou TikTok, celles-ci postent leurs offres et leurs tarifs bien inférieurs à ceux des médecins. Comme inje.ctionparis, qui propose acide hyaluronique et «Botox 3 zones 130 euros. Places limitées mes poupées». Aux risques et périls des «poupées», car une piqûre mal faite peut provoquer nodule, infection, voire nécrose ou paralysie faciale. La connaissance précise de l’anatomie faciale, de ses artères, de ses vaisseaux sanguins et de ses nerfs ne s’improvise pas…
Le Syndicat national de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique a lancé un cri d’alarme au début de l’année 2022. Deux ans et demi plus tard, les «fake injectrices», c’est le nom qu’on leur donne, se font un peu plus discrètes. «Elles prennent davantage de précautions pour filtrer les rendez-vous et elles vérifient l’identité de leurs clients», estime le commissaire divisionnaire Christophe Hirschmann, à la tête de la Brigade parisienne de répression de la délinquance contre la personne.
Régulièrement, les rubriques faits divers des journaux se font l’écho d’une arrestation ou d’un procès. «La secrétaire de mairie faisait des injections esthétiques sauvages», annonçait le journal «La Provence» le 16 mai dernier. «Injections illégales de Botox : les deux sœurs condamnées à quatre et deux ans de prison», révélait «La Voix du Nord» le 14 septembre 2023. A la demande des médecins, le gouvernement vient d’interdire la vente libre, en pharmacie, d’acide hyaluronique. Mais le problème reste entier. Parce que les usurpatrices de la seringue s’approvisionnent en quelques clics sur la Toile. «Parce qu’on est débordé par le phénomène», constate le docteur Jauffret. Et parce qu’au nom de la beauté, cette «promesse du bonheur» selon Stendhal, certains sont prêts à tout…
20% : c’est le taux de TVA applicable à la médecine de la beauté et aux actes de chirurgie esthétique. Seules sont exonérées les opérations à visée strictement thérapeutique. Les plasticiens contestent cette définition trop étroite. Et beaucoup refusent de facturer la TVA.
Il était une fois la chirurgie esthétique
Tout a commencé par le nez. En Inde, en 600 avant Jésus-Christ, des médecins tentent déjà de reconstruire cet organe dont l’ablation était pratiquée sur les voleurs et les femmes adultères. En Italie, à la fin du Moyen Age, le chirurgien Gaspare Tagliacozzi fait progresser la technique grâce à la greffe de lambeaux de peau prélevés sur le bras ou le front.
Dopée par l’apparition de l’anesthésie, puis de l’asepsie au XIXe siècle, la chirurgie esthétique progresse à grand pas. Les Américains réalisent leurs premiers liftings au début du XXe siècle. La comédienne Sarah Bernhardt traversera l'Atlantique en 1911 pour passer sur le billard. Après la Première Guerre mondiale, les plasticiens se démènent pour réparer les «gueules cassées», ces poilus défigurés par les balles et les éclats d’obus. Viendront ensuite, dans les années 1960, l’invention de la prothèse mammaire en silicone, puis celle de la liposuccion dix ans plus tard – l’intervention chirurgicale numéro 1 dans le monde aujourd’hui encore.
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