
A quoi sert l’argent des crédits d’impôt ? Cette question sensible revient sur la table à une période où les finances publiques vont mal. Ce jeudi 18 septembre, l’émission «Complément d’enquête» sur France 2 a ainsi relaté une «découverte embarrassante» chez Michelin. A savoir : des machines payées grâce au CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) et destinées à l’usine française de La Roche-sur-Yon… Mais qui ont été quelques années plus tard envoyées vers l’étranger, le fabricant de pneumatiques ayant fermé le site de La Roche-sur-Yon. Un abus de la générosité de l’Etat ?
En pleine nuit, peu de temps après la diffusion du «Complément d’enquête», Michelin a dégainé un communiqué pour rétablir «les faits sur les aides publiques et la réalité de son engagement en France». Pour rappel, au titre de 2024, l’équipementier automobile a bénéficié de 40,4 millions d’euros de crédit d’impôt recherche (CIR), la niche fiscale préférée des entreprises. En 2023, il avait également bénéficié de 32,4 millions d’euros d’exonérations de cotisations sociales. Puisqu’il s’agit de crédit d’impôt et d’exonérations, ces aides ne prennent pas forcément la forme de versements d’argent public. Mais il y a tout de même un manque à gagner pour l’État. En ce qui concerne les machines de La Roche-sur-Yon, l’investissement représentait 4,3 millions d’euros obtenus grâce au CICE.
Michelin s’apprête à rembourser les aides reçues pour les machines
L’affaire dévoilée par «Complément d’enquête» n’est pas nouvelle. Le président de Michelin, Florent Menegaux, s’en était d’ailleurs expliqué devant une commission d’enquête du Sénat en mars 2025. «On devrait être capable de rembourser si le CICE n’a pas servi pour les machines restées en France» et «ce ne serait pas anormal qu’on les rembourse», avait alors déclaré Florent Menegaux. Dans son communiqué diffusé ce 19 septembre, l’entreprise indique qu’elle s’est «d’ores et déjà rapproché des services de l’Etat pour préciser les modalités de remboursement».
La commission d’enquête sénatoriale avait encouragé cette démarche, pour montrer «à nos concitoyens que les grandes entreprises ont le souci de la bonne utilisation des deniers publics». A noter que ce remboursement résulte d’une démarche volontaire. «Le cadre légal du CICE n’impose aucun remboursement ni fléchage contraignant», rappelle Michelin, qui tient visiblement à défendre son image d’entreprise sociale. Si le CICE «a permis de maintenir autant que possible le niveau de compétitivité des usines», il n’a pas empêché la fermeture de l’usine de La Roche-sur-Yon, ajoute Michelin, qui pointe du doigt «la baisse inexorable de certains segments d’activité pneumatiques» et des «problèmes structurels de compétitivité». Dans une interview donnée à Capital en 2024, Florent Menegaux estimait ainsi que les coûts de production étaient deux fois et demi plus élevés en Europe qu’en Asie.
François Hollande agacé lorsqu’on lui parle du bilan mitigé du CICE
Remplacé par des exonérations de cotisations patronales, le CICE est resté en vigueur de 2013 à 2019. Il avait été mis en place sous la présidence de François Hollande et permettait aux entreprises d’alléger leurs impôts en fonction de leur masse salariale. Ce cadeau fiscal a permis de créer environ 100 000 emplois pour un coût total d’environ 100 milliards d’euros. «Ce qui est faible», critiquait un rapport de France Stratégie. «S’il n’y avait pas eu le CICE, non seulement il n’y aurait pas eu les 100 000 emplois, mais il y aurait eu des pertes d’emplois beaucoup plus considérables», s’est défendu François Hollande, interrogé par «Complément d’enquête», avant de mettre fin à l’interview, visiblement agacé par les questions des journalistes sur le sujet.
Si le CICE a disparu, l’efficacité du crédit d’impôt recherche est elle aussi régulièrement critiquée. Pour les industriels qui défendent ce dispositif, le CIR favorise l’innovation et l’installation de centres de R&D en France. Mais du côté des sceptiques, on critique le manque de contrôles et les critères d’éligibilité laxistes des dossiers. De son côté, Michelin préfère relativiser les montants en jeu. Le groupe compare les 40,4 millions d’euros perçus grâce au CIR aux «400 millions d’euros investis chaque année en R&D par Michelin en France». Le manufacturier rappelle aussi que sa contribution fiscale en France s'élevait à plus de 220 millions d’euros en 2023. Bref, l’entreprise estime apporter suffisamment d’eau au moulin des finances publiques, quand bien même la rivière s’assèche.


















