Ce vendredi 25 juillet à 23 heures, le Moulin Rouge retrouvera ses ailes. En réalité, depuis le 24 juin, quatre pales provisoires remplacent les ailes tombées le 25 avril. Mais c'est ce vendredi que ces nouvelles ailes temporaires seront inaugurées, avec un spectacle son et lumière et une vingtaine de danseurs devant le bâtiment du 82 boulevard de Clichy, dans le 18e arrondissement de Paris. Le dispositif provisoire ne permet pas aux ailes de tourner, selon l'établissement, qui souhaitait avoir de nouvelles ailes pour le passage de la flamme olympique devant le célèbre établissement le 15 juillet. «De nouvelles ailes, définitives et qui pourront tourner, sont prévues, mais à une date encore inconnue», a indiqué la direction à l'AFP. Fin avril, elle avait affirmé pouvoir exclure tout «acte malveillant» pour expliquer l'incident.
«Le Moulin a 135 ans, donc il en a vu des vertes et des pas mûres», relativisait fin avril le directeur général du Moulin Rouge. Qui cache un sacré envers du décor. Huit cents paires de chaussures, des tonnes de plumes d’autruche, d’oie, de faisan, des kilomètres de fils, de paillettes, de strass… pour préserver la magie de sa célèbre revue «Féerie», le Moulin Rouge compte autant sur le talent de sa centaine d’artistes maison que sur les savoir-faire ancestraux de ses artisans d’art. «Sur scène, nos costumes doivent paraître comme neufs. Or la lumière, les frottements pendant les différents tableaux de la revue… tout cela use les chaussures, les boas, les coiffes, les vestes... Nous sommes en permanence en train de les réparer ou de les remplacer. Mais pour les spectateurs, visuellement, rien ne doit changer», explique d’emblée à Capital Jean-Victor Clerico, qui nous a récemment ouvert les portes du mythique lieu de nuit parisien. Tout changer pour que rien ne change.
Pour assurer la pérennité de cette excellence, le Moulin Rouge a décidé de racheter les artisans d’art qui œuvrent depuis le début pour l’établissement. En 2002, le bottier Clairvoy est ainsi entré dans le giron du cabaret, suivi en 2007 par l’entreprise de Mine Verges, l’emblématique costumière que le Tout-Paris s’arrache, puis du plumassier Maison Février en 2009 et, enfin, de la maison de broderie Atelier Valentin en 2017. «Ces savoir-faire étaient en train de disparaître. Il nous fallait assurer leur transmission», rapporte Jean-Victor Clerico. Prochaine étape: rassembler toutes ces précieuses maisons en créant la Cité des métiers d’art du Moulin.
Rouge Moulin ! Pour réaliser et entretenir ces boas, qui parent les costumes de scène de l’un des premiers tableaux de la revue «Féérie», l’équipe de Maison Février sélectionne et ébarbe les meilleures plumes, les colle, les coud, les monte, en respectant des gestes ancestraux.
Jusqu'à 40 heures de travail pour une paire de bottines de french cancan
En mars dernier, ce sont les plumassiers de la Maison Février qui ont ouvert le bal en rejoignant le nouvel écrin installé sous les toits du Moulin. Un vaste lieu immaculé, digne d’une salle blanche, car les plumes d’autruches et autres volatiles nécessitent un traitement et un environnement particuliers. Ni trop chaud ni trop froid. Ni trop sec ni trop humide. «La ventilation aussi ne devait pas être trop forte, au risque de voir les plumes s’envoler», sourit Maxime Leroy, le chef d’atelier de la Maison Février. Installée autour de tables réglables en hauteur, ceinte dans des blouses traitées contre l’électricité statique, la «new gen» (23 ans en moyenne) du plumassier reproduit les gestes ancestraux sous l’œil exigeant de Maxime Leroy.
Ce jour-là, la petite équipe débarde délicatement des plumes blanches, les passe au fil… avant de les installer sur un des 800 costumes du Moulin. Le silence est d’or, la concentration extrême. Une erreur de quelques millimètres scellerait le sort d’une précieuse plume. Dans une salle attenante se trouve l’atelier de teinture, où les recettes des coloris d’antan n’ont pas varié d’un iota.
Aujourd’hui encore, les danseuses portent le string sur mesure et «en béton» (renforcé de partout) imaginé par Mine Verges pour qu’elles se sentent libres de leurs mouvements et surtout capables de supporter le poids des carcasses, des plumes et des strass des costumes.
Après la Maison Février, le bottier Clairvoy devrait très vite rejoindre la Cité. Mais pour l’heure, c’est à quelques encablures, rue Fontaine, que sont installés la boutique et les ateliers. En vitrine, des chaussures de spectacle mais aussi des sneakers conçus par Nicolas Maistriaux, le bottier créateur maison. Tous les artisans passés sous la coupe du Moulin Rouge peuvent en effet travailler pour d’autres clients (cinéma, haute couture, particuliers…). Une ouverture essentielle pour cultiver leur créativité. Dans l’atelier Clairvoy, ce jour-là, des bottines de french cancan sont en cours de réparation. Démontées, elles sont renforcées, ressemelées…
«La durabilité des chaussures est dans notre ADN depuis toujours. Tant que la sécurité des danseurs est assurée et que le visuel sur scène est bon, on les entretient et on les répare au quotidien», assure-t-il. Le tout avec encore et toujours les mêmes gestes et les mêmes outils. «Les pinces à monter ont 70 ans. Je fais les brocantes pour les dénicher. S’il manque des dents, je confie la pince à un mécanicien d’horlogerie pour qu’il la restaure», témoigne Nicolas Maistriaux, en portant un regard attendri sur les outils d’époque qui trônent dans l’atelier. Pour ne pas s’emmêler les pinceaux, chaque paire porte le nom d’un artiste maison. Selon les modèles, il faut entre vingt et quarante heures de travail pour réaliser une paire sur mesure. Son prix ? Entre 1 000 et 3000 euros !
20 minutes pour installer un fil de 1 000 paillettes
Si les chaussures doivent être brodées, c’est à l’Atelier Valentin que Nicolas Maistriaux s’en remet. Cette entreprise nichée dans une cour de la rue Notre-Dame-de-Lorette (toujours dans le quartier) est le brodeur officiel du Moulin. Caroline Valentin, sa fondatrice, veille au travail bien fait de ses apprenties et de ses brodeuses émérites. Et ça ne rigole pas si d’aventure de la colle coule sous les strass piqués au crochet. Ici, on ne souffre pas l’à-peu-près ! Des pièces uniques trônent sur les métiers. Les gestes sont précis et rapides. «Une brodeuse expérimentée peut installer un fil de 1 000 paillettes en vingt minutes», illustre Caroline Valentin. Des travaux méticuleux que l’équipe de l’Atelier Valentin ne devrait pas tarder à effectuer dans les locaux de la nouvelle Cité des métiers d’art. Et, bonne nouvelle, courant 2025, cette fameuse Cité devrait être en partie accessible au public ! De la scène aux artisans, il n’y aura plus qu’un pas… de danse.
A 88 ans, Mine Verges, l’emblématique costumière du Moulin Rouge que le Tout-Paris s’arrache, veille encore sur les 1 000 costumes du cabaret dont le coût oscille entre 10 000 et 20 000 euros pièce. Une robe peut nécessiter jusqu’à 200 heures de travail !
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