Hortense Bernard est à la tête, avec son frère Fabrice, de Millésima, institution bordelaise depuis 1983. Leader de la vente directe de vins aux particuliers et cinquième plus gros acheteur de primeurs sur la place, la maison vient d’ouvrir une vinothèque à New York. Eric Carrière, ex-joueur de football aujourd’hui champion des bons flacons, a, lui, créé les Caves Carrière à Dijon et lancé en 2022 Carrière & Associés, sa maison de négoce à Bordeaux. Il inaugure un troisième site à Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or) où abriter une partie des 250 000 bouteilles de son «fond de cave». L’un et l’autre donnent au commun des mortels l’accès à ce marché très fermé que sont les primeurs. Décryptage et clés pour se lancer.
Un système unique au monde
Il faut montrer patte blanche pour être dans le secret des 150 à 250 châteaux qui dévoilent leur millésime de l’année. Seuls les initiés, négociants et courtiers, journalistes spécialisés, sommeliers, grands amateurs, sont invités à la table des dégustations. Ensuite vient le temps de la «campagne». En fonction des notes obtenues, de la qualité du millésime, de sa politique, chaque château va, tour à tour, entre fin mai et mi-juillet, annoncer ses prix. «C'est vraiment un événement unique au monde. La sortie de chaque vin, et de son prix, fait le tour de la planète en quelques heures. Dès que les infos tombent, on alerte nos clients. Certains vins partent dans la journée», raconte Hortense Bernard.
Anticipation et rush hour
En fait, c’est un peu comme les billets Prem’s. Il faut être hyper-réactif. Mais aussi savoir où l’on veut aller ! «Nos clients experts ont leurs habitudes. Il y a ceux qui achètent chaque année, ceux qui misent seulement sur les grands millésimes. Les “monopropriétés” qui ont eu un coup de cœur pour un vin veulent revivre cette émotion… Certains nous font une confiance absolue pour leur établir une sélection. D’autres concoctent des tableaux Excel, croisent tous les prix, notes, millésimes… Ils adorent ça, s’amuse Hortense. A contrario, il y a les novices qu’on va accompagner, guider tout au long du processus.» Car on ne s’improvise pas «primeurs-acquérant». «On peut bien sûr se fier aux notes. Mais, remarque Eric Carrière, cela ne suffit pas toujours à identifier le bon vin pour soi. Alors, on appelle pour affiner les desiderata, conforter les néophytes dans leur choix.»
Question de confiance
La confiance est un ingrédient indispensable de ce mercato des vins de bordeaux. «D’abord entre négociants et châteaux, souligne Eric. On s’engage financièrement avec eux. En retour, ils nous concèdent des allocations nous garantissant de pouvoir mettre à la disposition de nos clients des primeurs.» Côté client, l’achat de ces vins pas encore totalement bien élevés demande aussi de la confiance.
Le prix … mais pas que
Un grand plus des primeurs est en principe le prix. Il sera de toute façon toujours inférieur, à de rares exceptions près, à celui en cours au moment de la livraison (deux ans plus tard). Cela permet aussi de faire une «OPA» sur l’élite des crus très courus, rares, voire inexistants sur le marché. «Et dans des formats inaccoutumés. Les vins étant en barrique, on peut choisir celui de ses désirs. Un balthazar (12 litres), par exemple, en vue d’une occasion spéciale. Les primeurs sont parfois l’unique occasion de rentrer ces grands contenants», constate Hortense. Au-delà du prix, le plaisir.
Bernard Magrez, pape des primeurs
Seul à posséder un quatuor de grands crus classés, dont un dans chaque vignoble du Bordelais, «l’homme aux 40 châteaux» tient le haut du pavé de la place de Bordeaux. Tous les ans, ses prestigieux domaines, Château Pape Clément (graves), Château La Tour Carnet (haut-médoc), Château Fombrauge (saint-émilion), Clos Haut-Peyraguey (sauternes) – soit au total plus de 420 hectares «grande classe», un record absolu jamais atteint par personne – et Château Les Grands Chênes (pépite des crus bourgeois) sont dégustés en primeurs.
Un enjeu de taille quand on sait que ce marché représente environ 30% du volume global des ventes de vin de la maison, soit 1 820 000 bouteilles. «La campagne des primeurs, avec ses négociants, ses courtiers, les centaines de professionnels affluant du monde entier, est indispensable à leur distribution», explique Bernard Magrez. La jauge des prix aussi : «Notre politique est que ces derniers soient quasiment identiques d’une année sur l’autre, même si la récolte diminue en volume», ajoute ce fin business-wine.
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