
«Le diabète c’est pour les gros. Tu n’as qu’à manger plus sain et faire du sport et tu verras, ça ira mieux.» «Ce serait bien que tu nous préviennes quelques jours avant ton arrêt maladie, afin que l’on s’organise.» Voilà le genre de réflexions émanant des anciens managers d’Eléonore. La jeune chargée de projet souffre de maladies chroniques : diabète de type I depuis l’âge de 5 ans et épilepsie depuis désormais trois ans. A raison de dix piqûres d’insuline quotidienne et de crises régulières d’épilepsie, autant dire qu’elle ne peut pas prévoir ses «coups de moins bien».
Et visiblement, ses managers de l’époque, pourtant au courant de ses pathologies, n’étaient guère au fait de l’impact des maladies chroniques sur son boulot et encore moins de la façon de la manager au quotidien. D’ici 2025, un quart de la population active française sera touchée par une maladie chronique, selon l'Anact. De toute évidence, vous serez, un jour ou l’autre, confronté à ce type de problématique dans votre équipe. Voici donc quelques conseils pratiques pour vous aider dans votre management quotidien.
1 - Gérer l’annonce de la maladie chronique
Que les choses soient bien claires, rien n’oblige vos salariés atteints de maladie chronique à se déclarer et encore moins à vous en parler. «Les salariés concernés ont encore tendance à cacher leurs pathologies car les maladies chroniques sont souvent assimilées à une baisse de performance. Les collaborateurs craignent les répercussions associées», souligne Géraldine Mandefield, fondatrice et dirigeante de VerbaTeam, un cabinet spécialisé dans le conseil sur l’absentéisme, la prévention santé et la qualité de vie au travail. Par exemple, une mise au placard, voire pire, un licenciement. Mais partons du principe que votre collaborateur partage son problème de santé. Comment devez-vous réagir ? «Une posture d’écoute et d’empathie s’impose car c’est un moment difficile pour cette personne. N’allez surtout pas lui demander des détails sur sa maladie. Écoutez-le et posez-lui des questions ouvertes du genre «quelles sont les conséquences de ta pathologie sur tes journées de travail ?», «que peut-on envisager ensemble pour que cela se passe le mieux possible pour toi au travail ?», «de quoi aurais-tu besoin ?», recommande Valérie Desplanches, présidente de la Fondation pour la recherche sur l’endométriose.
Si vous avez été touché de près ou de loin par ce type de maladie chronique, surtout ne transposez pas votre expérience personnelle. Chaque situation est différente. Ensuite, mettez-vous d’accord ensemble sur la diffusion (ou pas) de l’information auprès du reste de l’équipe. Là encore, c’est au salarié malade de décider à qui il souhaite le dire, sous quelle forme et dans quel timing. Vous devrez respecter son choix. L’organisation d’une réunion d’équipe pour évoquer le sujet peut être opportune. Dans ce cas, laissez votre collaborateur prendre la parole. Ce sera de toute évidence un choc également pour l’équipe. Peut-être préférera-t-il livrer des informations de manière plus individuelle. Adaptez-vous à ses demandes. En tout état de cause, ce n’est pas encore le moment d’évoquer une nouvelle répartition des tâches. Chacun doit d’abord digérer l’information.
2 - Ne pas rester seul face à la situation
«Si vous n’avez pas été concerné dans votre vie personnelle, vous aurez sans doute envie d’en savoir plus sur la maladie en question. Votre meilleur interlocuteur est alors la médecine du travail. Mais aussi les ressources humaines pour en apprendre davantage sur les possibilités d’aménagement de poste et de temps de travail», précise Géraldine Mandefield. Vous pouvez également vous rapprocher de la mission handicap interne, si elle existe dans votre entreprise. Le pire, pour vous, serait de rester seul avec vos questions, vos doutes et vos peurs.
3 - Planifier une nouvelle organisation de travail
Une fois l’annonce passée et les informations recueillies en interne, vient pour vous le moment de réorganiser le travail au sein de l’équipe. En effet, votre salarié malade peut être amené à honorer des rendez-vous médicaux récurrents, à s’arrêter régulièrement, à être moins efficace certains jours du fait de sa pathologie, à bénéficier d’un temps partiel thérapeutique, d’horaires aménagés, etc. Le premier réflexe est sans doute de dispatcher une partie de ses missions sur d’autres membres de votre équipe. «Un manager peut également identifier les métiers orphelins (occupés par une seule personne) dans son équipe et mettre en place des binômes. Ainsi, en cas d’absence de son collaborateur malade, son binôme pourra reprendre la main. Pour faciliter le quotidien de tous mais surtout du binôme, mettez en place des espaces de travail collaboratifs documentés et mis à jour en temps réel», conseille Aurélie Judlin, partner en charge du conseil et de la formation au sein du cabinet Human & Work.
Si la charge de travail est lourde à reprendre pour le reste de l’équipe, essayez d’obtenir des ressources supplémentaires. Un intérimaire ou un CDD, par exemple. Dans cette configuration, votre collaborateur malade pourrait avoir l’impression que vous le remplacez bien vite. «Discutez-en au préalable ensemble en lui indiquant que cela va le soulager. Qu’il n’aura pas des milliers de mails à traiter à son retour. Que cela générera moins de stress pour lui. Indiquez-lui également que ces ressources humaines supplémentaires vont aussi soulager l’équipe entière», recommande Victoria Tchakmazian, psychologue clinicienne intervenante au sein du cabinet Alterhego, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux et le développement de la qualité de vie au travail.
4 - Gérer le collectif de travail
«La plus grosse erreur d’un manager serait de s’occuper uniquement de son salarié touché par la maladie chronique et pas du reste de son équipe», insiste Anne-Sophie Tuszynski, PDG de Wecare@Work (conseil et formation en inclusion, santé et QVT). Vous devez donc faire preuve d’équité de traitement. D’ailleurs les salariés touchés n’aiment pas vraiment les traitements de faveur. Ils souhaitent être considérés comme les autres. Quant aux autres, justement, si vous faites trop de différence au début, cela peut finir par agacer. «Ne minimisez jamais quelqu’un qui râle. Au contraire, identifiez ses besoins. Lui faut-il des congés, une réévaluation de sa charge de travail, une délégation de certaines de ses tâches pour le soulager un peu ?», illustre Victoria Tchakmazian. Restez dans l’écoute active de toute votre équipe.
5- Micro-manager au quotidien
Les salariés malades ont parfois tendance à se surinvestir dans leur boulot pour justement se montrer plus fort que leur pathologie. «Par de l’écoute et de la pédagogie, le manager doit leur faire prendre conscience de leurs limites. Pour cela, il peut user de la “pair-aidance” : des salariés eux-mêmes malades chroniques ou des aidants de malades chroniques, qui, de par leur expérience de vie, peuvent aider d’autres salariés concernés à mieux concilier leur santé avec leur travail», souligne Anne-Sophie Tuszynski, également fondatrice et administratrice de Cancer@Work.
Notez également que certaines maladies sont évolutives. Donc faites des points réguliers avec vos collaborateurs touchés afin de réinterroger les impacts de leur pathologie sur leur travail et les éventuels nouveaux besoins d’aménagement ou de compensation. «Enfin, votre rôle de manager est aussi d’envisager les évolutions de carrière à moyen et long terme de vos collaborateurs malades chroniques pour les tenir engagés dans leur poste. Vous ne pouvez pas les cantonner à des microtâches, sans leur donner de vision d’avenir. Ils doivent pouvoir se projeter plus loin, en dehors des pics de leur maladie», conclut Victoria Tchakmazian (Alterhego).

«Je dispose d’une certaine souplesse d’organisation»
«En novembre 2019, j'ai fait un très grave AVC. Hémiplégique, aphasique, les débuts furent compliqués. Aujourd’hui, j’ai perdu la vision de mon œil gauche. Au travail, je souffre de déficit attentionnel lors de conversations à plusieurs. J’éprouve également des difficultés dans la hiérarchisation des informations et des troubles de la mémoire. Un AVC décuple également le stress et l’anxiété. Au quotidien, je cache mes séquelles invisibles. Je dispose d’un clavier rétro-éclairé et d’un grand écran, mais pour le reste je compense et je dépasse mon niveau de fatigue. Depuis mon AVC, l’établissement des devis SAV a été repris par une autre personne, je gère “juste” les appels d’offres. J’ai levé le pied sur les déplacements professionnels , qui me fatiguaient trop. Heureusement, je dispose d’une certaine souplesse d’organisation de travail. En cas d’extrême fatigue, je rentre chez moi vers 16h30. Le gérant et mes collègues, au courant, n’y trouvent rien à redire. Ils sont solidaires.»
Julien Duparque, 44 ans, directeur associé, Framafer-Fermeture industrielle

«J’ai été à l’écoute des problématiques»
«En 2019, deux collaboratrices de mes équipes ont été touchées par un cancer du sein. La première basée à Vannes m’en a informée mais n’a pas souhaité le dire à l’équipe. Après des arrêts de courte durée où il a été un peu compliqué d’absorber sa charge de travail sans pouvoir la remplacer, elle s’est absentée dix-huit mois durant lesquels elle voulait garder le contact avec le travail. Une fois par mois, je l'appelais et il y avait des échanges de sms avec ses collègues, qui se doutaient de sa maladie mais sans précision. Pour sa reprise, nous lui avons demandé de nous faire une proposition d’organisation en lien avec la médecine du travail. Finalement ce fut un mi-temps thérapeutique. Pour la seconde salariée travaillant à Caen, tout le monde avait le même degré d’information sur son cancer. C’était sa façon à elle d’accepter sa maladie. Dans les deux cas, j’ai été à l’écoute de leurs problématiques. A leur retour, il y a eu des soucis de concentration, parfois un besoin d’alléger leur charge de travail… Elles m’alertaient et je trouvais des solutions pour les décharger. J’ai aussi veillé à ce qu’elles ne rencontrent pas de souci supplémentaire. Par exemple, d’ordre financier. L’entreprise a avancé les indemnités journalières de la Sécurité sociale et a assuré le suivi de l’indemnisation de la prévoyance.»
Sophie Guillon, responsable du centre de services partagés paie du groupe STEF
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