«L’une de mes anciennes managers m’a récemment avoué qu’elle avait longtemps appréhendé nos entretiens. Pour elle, je posais sans cesse trop des questions sur des points saillants de notre activité, je la challengeais et elle avait l’impression de devoir se justifier et de me rendre des comptes», raconte Marie-Sophie Zambeaux, fondatrice du cabinet ReThink RH spécialisé dans le conseil, le recrutement et la marque employeur. Cette dirigeante était à l’époque estampillée «haut potentiel» par son employeur. Les fameux «HP» !
Pour faire simple, disons que ces profils se distinguent par une forte capacité d'analyse, une grande curiosité intellectuelle et une créativité marquée. Ils possèdent un esprit critique aiguisé et une capacité d'apprentissage rapide. «Ce sont des Saint-Bernard, des couteaux suisses mais aussi souvent des poils à gratter. Des gens capables de repérer des incohérences, de pointer du doigt là où ça fait mal, mais surtout de faire en sorte que cela change en apportant des solutions», insiste Ludovic Girodon, conférencier sur le thème du management et de l'engagement des équipes.
«Ces caractéristiques peuvent aussi les amener à s'ennuyer plus facilement si les tâches ne sont pas suffisamment stimulantes. Ils peuvent se montrer hypersensibles ou impatients. Ils ont tendance à fuir les environnements toxiques ou incohérents. Une étude menée par Mensa montre que les individus HP se lassent souvent plus rapidement dans des environnements routiniers et peuvent ressentir une frustration face à des processus qu'ils considèrent inefficaces», ajoute Marie-Sophie Zambeaux. Autant de caractéristiques particulières qui les rendent parfois difficiles à manager, si le cadre de travail ne leur permet pas d'exploiter pleinement leur potentiel.
1-Mettre son ego de côté
Si dans votre équipe, vous comptez ce type de profil, pas de panique ! Un HP, ça se manage. Certes, un brin différemment, mais ça se manage quand même. D’abord pour que les choses se passent bien, vous allez devoir laisser votre ego (si tant est qu’il soit démesuré) de côté. «Ces profils ont souvent des attentes élevées envers eux-mêmes, leur manager et leur environnement de travail. Ils peuvent remettre en question le statu quo plus fréquemment, ce qui, dans certaines entreprises, peut être perçu comme de l'arrogance ou de la provocation. Il faut donc avoir une certaine confiance en soi en tant que manager pour ne pas se sentir remis en question à chaque instant, car les profils HP ont tendance à pousser les managers et leurs interlocuteurs dans leurs retranchements. Manager des HP peut donc être plus complexe», argumente la fondatrice de ReThink RH.
2 - Leur confier des missions supplémentaires
Vous l’aurez compris, les HP percutent plus et plus vite que les autres. Conséquence, ils ont tendance à s’ennuyer rapidement. Pour éviter cela et limiter leur désengagement, pas d’autres choix que de leur donner des missions et des tâches supplémentaires à accomplir. De préférence sur des sujets qui les animent. «Parmi les cinq besoins fondamentaux indispensables à tout collaborateur, on retrouve la direction, donc le sens au travail, la reconnaissance, l’environnement social, l’autonomie et la montée en compétences. Pour les HP, les deux derniers besoins sont encore plus vitaux», explique Ludovic Girodon, auteur de Dream Team (Marabout). Au cours d’un entretien avec votre HP, interrogez-le par exemple sur les sujets qui lui tiennent à cœur. Jusqu’où est-il prêt à s’y investir ? Dans quel cadre de fonctionnement ? Est-il d’accord pour prendre le lead à votre place sur tel dossier ? Quel plan d’action envisage-t-il ?
«Les HP n’ont pas uniquement besoin de reconnaissance, mais aussi d’apprentissage constant. Pourquoi ne pas en faire votre numéro 2 par intérim durant vos vacances. Pour avancer et faire progresser le groupe, ils ont besoin de voir leur valeur ajoutée», analyse Pascal Daoglio, partner au sein de DHR Global, un cabinet international de chasse de tête. Un autre filon à exploiter serait de les intégrer dans des projets transverses où leur capacité à penser out of the box est un atout. Ou de les impliquer sur des sujets d'innovation. En leur confiant des responsabilités qui sortent des sentiers battus, vous leur permettez de rester engagés et de mettre leur potentiel au service de l'organisation. «Ne perdez jamais de vue que la posture du manager doit être celle d'un facilitateur. Il ne s’agit pas de "manager" la personne, mais son "potentiel"», assène Marie-Sophie Zambeaux.
3 - Multiplier les feedback
Alimenter les HP en missions plus nombreuses ne vous dispense évidemment pas de les accompagner dans leur quotidien. Et pour cause. «Les HP peuvent être plus sensibles aux critiques et aux dynamiques interpersonnelles. Un feedback perçu comme injuste ou une atmosphère d’équipe tendue peut les affecter davantage que d'autres. Il est donc crucial pour le manager de fournir un feedback constructif, bienveillant, et de maintenir un environnement de travail positif. Une mauvaise gestion de cet aspect émotionnel peut rapidement mener à des conflits ou à un désengagement du HP», insiste Marie-Sophie Zambeaux. Attention tout de même à ne pas créer une dynamique de favoritisme, qui pourrait générer de la jalousie ou de ressentiment de la part du reste de l’équipe.
En tant que manager, vous devez valoriser chaque collaborateur pour ses forces propres. Cela passe par une communication transparente sur les objectifs et les rôles de chacun, tout en évitant de glorifier uniquement et de survaloriser les performances des HP. Si un HP est impliqué dans un projet particulier, il faut que le reste de l'équipe comprenne que chaque profil a une valeur ajoutée spécifique. «Le concept de sécurité psychologique est ici fondamental. Chaque membre d’une équipe doit se sentir libre de contribuer et de donner son avis, sans craindre de jugement ou de se sentir inférieur. Cela rassurera le reste de l’équipe, mais également le profil HP, qui peut hésiter à partager ses idées si l'environnement ne lui semble pas valoriser l'innovation ou le questionnement», argumente-t-elle.
«La valeur ajoutée d’un HP doit profiter à tous»
«Avec les hauts potentiels, le plus important est de leur confier des choses intéressantes et difficiles afin qu’ils soient dans une zone de stress positif. Un subtil équilibre à trouver. Je fais toujours attention à ne pas mettre en danger le socle de compétences de base sur lequel la personne est performante. Ensuite, ensemble, on détermine un projet sur lequel elle va pouvoir rayonner à un niveau au-dessus. Il s’agit souvent de sujets mal définis que ces profils vous justement réussir à cadrer en innovant. Attention, pour qu’un HP reste engagé, il doit pouvoir constater son pouvoir de changement interne. Le fait qu’il travaille souvent plus vite que les autres n’est pas la clé de la réussite. C’est même parfois délétère pour l’efficacité du groupe. Un HP performant doit être doté d’une bonne intelligence émotionnelle afin d’aider ses collègues, d’adapter ses façons de travailler et surtout ne pas stresser tout le monde. Leur valeur ajoutée doit profiter à tous».
Jean Ferré, 55 ans, co-fondateur et dirigeant de Sinequa
4 - Rappeler l’importance du collectif
Malgré tous ces garde-fous, il se peut que votre collaborateur HP se plaigne par exemple de la lenteur de ses collègues, de leur manque de réactivité… En point individuel, rappelez-lui que ses collègues essaient de s’adapter à lui et que donc lui aussi doit fournir des efforts. A partir du moment où un projet n’est pas en danger, inutile de mettre la pression sur le reste de l’équipe. C’est à votre HP de s’adapter et de ne pas montrer son impatience.
5 - Recadrer un HP aussi
«Avec ces profils HP, l’effet de halo vous guette. En effet, les managers ont tendance à penser que tout brille, que tout est génial et à mettre de côté les effets négatifs. Par exemple, à tolérer davantage leurs retards», constate Ludovic Girodon. Or non, un HP qui sort du cadre, vous devez le recadrer au même titre que ses collègues. «N’ayez pas peur et agissez vite si la situation se présente», alerte Ludovic Girodon. Et là, deux hypothèses. Soit la règle de base est bonne et le HP a dépassé les limites et donc à vous de les lui rappeler et de formuler très clairement qu’il doit les respecter. Bref, qu’il cesse de jouer les divas. «Soit la règle de base n’est pas idéale et mérite d’être revue. Si votre HP demande 2 jours de télétravail contre un jour autorisé pour tous, examinez la pertinence de sa demande. Si elle vous paraît recevable et gérable pour votre équipe, établissez une nouvelle règle à 2 jours de télétravail par semaine… pour tous les collaborateurs partants», conclut-il.
- Accès à tous les articles réservés aux abonnés, sur le site et l'appli
- Le magazine en version numérique
- Navigation sans publicité
- Sans engagement
