
L’ancien ministre de l’Intérieur est un homme pressé. Lui qui ne passe que deux jours par semaine à Marseille – il est aussi président du tunnel du Mont-Blanc et conseiller du site de e-commerce chinois Shein –, reçoit Capital dans son bureau de la place de la Joliette. Au dernier étage du siège du Grand port maritime de Marseille (GPMM), la vue n’est pas aussi impressionnante que l’ampleur des projets sur la table. Entre la décarbonation d’une industrie vieillissante et polluante, la gare maritime et ses millions de passagers chaque année, ou les câbles sous-marins qui font de la cité phocéenne un hub numérique vital, les enjeux ne manquent pas. Président du conseil de surveillance du port de Marseille Fos, Christophe Castaner nous détaille sa politique. Nouveau volet de notre grande enquête du mois de juin sur Marseille.
Capital Quand on parle du port de Marseille, on pense au Vieux-Port, à la Joliette. Mais le GPMM est une ville dans la ville…
Christophe Castaner En réalité, il y a deux ports. (Il prend un plan et nous le glisse sous les yeux, NDLR.) Quand vous avez un pétrolier de 600 000 tonnes qui vient décharger, les Marseillais ne le voient pas. Mais, en arrivant au large, il coupe ses moteurs et, avec l’inertie, il arrive jusqu’au bassin du golfe de Fos où se situe le terminal pétrolier, à une trentaine de kilomètres par la mer. Le port s’étale sur une superficie grande comme Paris et sa particularité, c’est qu’il est toujours multi-activités.
Comment se porte le transport de passagers ?
C.C. C’est important pour nous, avec autour de 4 millions de personnes par an, dont 1,5 million sur les lignes régulières vers l’Afrique du Nord ou la Corse, et environ 2,4 millions de croisiéristes. Nous avons à la fois une clientèle haut de gamme et des croisières classiques. Les Marseillais sont fiers qu’on vienne dans leur ville et la réalité, c’est qu’aujourd’hui nous sommes devenus, avec Rome et Barcelone, l’un des principaux hubs en Méditerranée pour la croisière.
On a tous en tête les grands départs en vacances l’été, avec les files de voitures qui stationnent sur le port. Comment améliorer l’embarquement ?
C.C. Nous avons lancé des premiers travaux d’aménagement de la gare maritime, mais c’est vrai que le projet est peut-être un peu sous-dimensionné. Les gens sont très organisés, un peu angoissés, et viennent parfois 24 ou 36 heures avant leur départ. Comme le port ne peut pas leur ouvrir les portes aussi tôt, ils stationnent à l’extérieur et ça provoque un peu de congestion. Nous sommes en train de réaménager cela.
Vous lancez une rénovation du siège du port et de l’embarcadère vers la Corse. Pouvez-vous nous en parler ?
C.C. Nous en sommes à la consultation pour choisir l’équipe d’architectes qui réalisera le nouvel embarcadère vers la Corse. L’idée est d’avoir un lieu de qualité pour les opérateurs actuels, Corsica Linea et La Méridionale. Cette gare maritime doit être la porte d’entrée de l’île. Quant au siège, comme vous le voyez, il est dans son jus (il rit, NDLR). Nous avons voté un grand projet avec l’ambition de redonner de l’espace aux Marseillais, un peu comme au Mucem (le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, NDLR) avec cette promenade le long de la mer. Nous essayons d’ouvrir le port, même s’il ne faut pas oublier que c’est un espace économique très protégé, avec de fortes contraintes de sécurité, du fait notamment du trafic international de stupéfiants.
Vous avez beaucoup de saisies ?
C.C. Les contrôles ont été renforcés. Le port de Marseille n’est pas en interconnexion directe avec l’Amérique du Sud (grande exportatrice de cocaïne, NDLR). Nous sommes plutôt un port de rebond pour des navires qui viendraient du Maroc, par exemple. Mais il y a aussi des risques avec les bateaux de croisière ou de plaisance de trafiquants, qui viennent mouiller au printemps ou en été chargés de marchandises, et qui restent au chaud jusqu’à ce qu’ils viennent les décharger en hiver. Nous travaillons là-dessus avec le ministère de l’Intérieur, les douanes et la police aux frontières.
Le port est aussi un lieu stratégique pour l’économie numérique, avec les câbles sous-marins qui arrivent sur les plages du Prado…
C.C. Tout à fait, c’est même stratégique pour la souveraineté française. Nous sommes le seul pays européen avec une double interconnexion, sur l’Atlantique et sur la Méditerranée. Notre infrastructure d’atterrage (connexion entre la partie sous-marine et terrestre, NDLR) accueille déjà 18 câbles sous-marins, dont certains vont jusqu’à Singapour ! C’est tout un hub numérique que l’on développe autour, avec notamment deux grands data centers sur le port.
En matière d’énergie, vous vivez une grande période de transformation. Comment décarboner votre activité ?
C.C. Ce sont des enjeux extraordinaires, à la fois par le défi technologique et par la taille des projets. A Fos-sur-Mer, à l’époque gaullienne, on a transformé ce petit bout de Camargue pour en faire le plus grand port pétrolier du pays. Vingt ans plus tard, il y a eu la révolution liée à la chimie du pétrole. Là, nous vivons la troisième révolution du port, avec une giga-usine de panneaux solaires, de l’éolien offshore, de l’hydrogène ou de la production de carburant de synthèse. Nous avons investi 99 millions d’euros en 2024. Et nous continuerons en 2025, avec 35 millions d’euros supplémentaires pour poursuivre notre transition écologique.
Est-ce que le port recrute ?
C.C. Le GPMM ne salarie pas beaucoup, un millier de personnes environ. L’essentiel de l’activité est porté par des sociétés privées, 1 500 établissements environ. Cela représente 42 600 emplois directs et indirects. C’est 10% de la masse salariale privée des Bouches-du-Rhône ! Quand un porte-conteneurs arrive, il y a un pilote qui monte pour le manœuvrer. C’est une structure privée. Il fait appel à un remorqueur pour l’aider, c’est du privé. Pour décharger, on fait appel aux dockers. Encore du privé. Les gens l’ignorent souvent, mais ils ne sont pas salariés du port. Viennent ensuite les logisticiens, les transporteurs… Sur toute la chaîne, il y a des entreprises privées.
Cet hiver, les dockers ont beaucoup perturbé l’activité par des grèves. Comment se passe le dialogue social ?
C.C. Les armateurs étrangers vous le diront, ils reconnaissent la qualité du travail de nos dockers. Après, lors de moments de grève un peu compliqués comme cet hiver, ils sont en mesure de «neutraliser» un port avec 500 personnes. Pour ce qui me concerne, c’est vrai que ça ne partait pas très bien car, lorsque mon nom a circulé pour la présidence du conseil de surveillance, on a eu le droit à une manifestation. Le patron de la CGT du port, Pascal Galéoté, a même dit : «Moi vivant, Castaner ne mettra jamais les pieds au port de Marseille.» Aujourd’hui, je pense qu’on peut dire qu’on est potes.
Il a été entendu dans une enquête portant sur des soupçons de détournement de fonds au sein du CSE. Cela fait mauvais genre, non ?
C.C. Objectivement, j’attends la suite de l’enquête judiciaire. De ce que j’ai vu, on lui reproche l’achat d’un stylo Montblanc à 480 euros, on est loin des 250 000 euros évoqués (sur la période 2014-2018, NDLR). Je n’ai pas accès au dossier, mais il est ressorti après une garde à vue assez courte. Forcément, ce genre d’affaires crée beaucoup d’émoi dans la presse locale.
Mini-bio
· Né le 3 janvier 1966 à Ollioules (Var)
· 2001-2017, maire de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence)
· Juin 2012, élu député (PS), devient porte-parole du candidat Macron en 2016
· 2017, réélu député, devient porte-parole du gouvernement d’Edouard Philippe, puis ministre de l’Intérieur en 2018
· Juin 2022, défaite aux élections législatives, il se retire de la vie politique nationale
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