Bien vieillir chez soi : bientôt une réalité grâce à ces pionniers français de l'innovation

Les projets innovants, comme celui de l'exosquelette, visent d’ailleurs moins les futurs résidents des maisons de retraite que les 8,4 millions de personnes âgées qui vivront encore chez elles en 2040. C’est le défi du «virage domiciliaire». «Il faut donner la priorité au maintien à domicile, car c’est le souhait de 90% des Français», rappelle Alexandre Petit, président du Gérontopôle Nouvelle-Aquitaine. Pour réussir ce virage, il faudra d’abord éradiquer les chutes. Les 2 millions d’incidents recensés chaque année chez les plus de 65 ans causent en effet 10000 décès, et plus de 130000 hospitalisations. Et ne sont souvent qu’un triste prélude à la dépendance.

Des solutions préventives contre les chutes... et bientôt prédictives !

«Il faut mettre en place des éléments prédictifs pour repousser, voire annuler, ces événements de rupture», lance Alexandre Petit. Les colliers de détection antichute, que portent déjà de nombreux seniors, ne suffiront pas: s’ils permettent de prévenir les secours, le mal est déjà fait. D’où l’idée commune à plusieurs entrepreneurs de développer des sortes d’airbags. La solution la plus prometteuse vient d’Hippy, dont la ceinture Indienov ne se contente pas d’amortir le choc. «Nous travaillons sur la prévention à partir des données qu’elle enregistre, tels les problèmes d’équilibre, les variations de la longueur des pas, le boitillement, etc. Ces signaux sont susceptibles de prédire un risque de chute, mais peuvent aussi permettre de détecter d’autres pathologies», assure Maurice Kahn, cofondateur de la start-up marseillaise.

Prévenir plutôt que guérir: c’est une ambition que beaucoup partagent. La start-up Presage Care y travaille, via des algorithmes capables de prédire les trajectoires médicales de nos aînés et d’y associer un risque d’hospitalisation, avec une à deux semaines d’avance. Tout comme OSO-AI, qui se présente comme une oreille augmentée: installée au domicile des personnes âgées, elle détecte les signes avant-coureurs d’une chute, un état de détresse respiratoire…

Lutter contre la menace invisible de la dénutrition

Tandis que des spécialistes de la grande consommation comme Danone prêchent la prévention par l’alimentation, pour lutter contre les carences. Le groupe travaille notamment à concentrer le maximum de protéines et de nutriments dans de petites bouteilles. «Les seniors s’isolent, perdent l’appétit, mangent moins bien et ne s’en rendent pas compte: la dénutrition cachée est un enjeu majeur», résume Sonia Penim, directrice marketing du groupe pour la branche nutrition spécialisée.

Autre solution d’avenir, les montres connectées, pourtant pensées pour suivre les performances sportives, et qui basculent vers la prévention santé. Apple participe déjà à une expérience avec le Gérontopôle des Pays de la Loire, tandis que Samsung a lancé une bague connectée, la Ring. Plus facile à porter qu’une montre, l’anneau enregistre le taux d’oxygénation du sang ou la quantité de glucose, tout en relevant des constantes comme le pouls ou la tension.

J’aimerais proposer une sorte de suite Office pour la prise en charge des personnes âgées, avec leur dossier médical, leur installation domotique, des captations de données de santé, un service de visio, le tout facile à paramétrer. Frédéric Fauchère, directeur mobilité chez Samsung.

Alors que sa Ring devrait être testée prochainement dans une structure de rééducation posthospitalisation, le géant coréen affiche de larges ambitions. «J’aimerais proposer une solution globale, une sorte de suite Office pour la prise en charge des personnes âgées, avec leur dossier médical, leur installation domotique, des captations de données de santé, un service de visio, le tout facile à paramétrer», rêve Frédéric Fauchère, directeur mobilité chez Samsung.

De nouvelles offres de prévoyance et peut-être une forme de "viager éthique"

Dans tous les cas, l’adaptation du logement devra suivre, en couplant techniques innovantes et aides dédiées. Automatisation des volets, lumières commandées à la voix... Le marché va devenir si grand que Stannah, le leader des très déprimants monte-escaliers, aura sûrement d’anciens géants du meuble et des services comme concurrents. Pour financer de tels équipements, les acteurs de la prévoyance développent des offres spécifiques. «Nous réfléchissons notamment à des solutions de monétisation du patrimoine, peut-être sous la forme de "viager éthique" pour financer l’aménagement de l'habitat», envisage Benoit Courmont, directeur général adjoint d’AG2R La Mondiale.

Dernier combat à gagner: la lutte contre l’isolement, en maintenant notamment des services de proximité – soins, pharmacie, alimentation, lieux de socialisation – dans une limite de marche acceptable, ou via des systèmes de mobilité autonomes. La Poste compte jouer sa carte. Entre son réseau de facteurs, les compétences digitales de ses filiales ou ses acquisitions dans le domaine de la santé à domicile (Asten et DiaDom), le groupe occupe une position stratégique pour accompagner ce vieillissement de la population.

En Mayenne, certains facteurs font déjà des «heures de convivialité», tandis que l’entreprise a fait du portage de repas un de ses services d’avenir, au point qu’il aura probablement dépassé l’activité courrier en 2040. De 13.000 seniors bénéficiant de ce service aujourd’hui, La Poste estime pouvoir passer à 300.000 d’ici là. «Les facteurs sont des experts du lien social, les gens leur font confiance, ils entrent dans l’intimité des personnes âgées et peuvent signaler un problème: ils ont déjà sauvé des vies», se réjouit Philippe Dorge. En 2040, le facteur sonnera donc toujours. Et plutôt deux fois qu’une.

Ces 10 innovations qui vont changer la donne :

• Allonger le nombre d’années en bonne santé : en parallèle des progrès de la médecine, la façon de s’alimenter doit permettre de garder la forme. Avec des aliments hyperconcentrés en protéines et nutriments, des géants comme Danone (Fortimel, Nutrison) et de jeunes pousses comme La Picorée ont entamé la lutte contre les carences et la dénutrition liées à l’âge.
• Eviter les chutes à tout prix : fracture du col du fémur, perte de confiance: l’accident domestique peut faire basculer dans la dépendance. On l’évitera avec la généralisation des airbags antichute, comme la ceinture Indienov d’Hippy, des systèmes d’intelligence prédictive capables de repérer des comportements anormaux, de type Zoe Fall, ou encore des équipements de santé connectée, comme la Ring de Samsung.
• Suppléer aux faiblesses du corps : les progrès de la médecine et de l’ingénierie vont permettre de rendre les exosquelettes adaptés à chacun, et accessibles à tous pour garder son autonomie. Après avoir changé le quotidien des ouvriers dans les usines, les robots collaboratifs et exosquelettes créés au sein du CEA (Commissariat à l'énergie atomique) ou par des entreprises comme Wandercraft vont entrer dans les maisons.
• Aménager pour simplifier le quotidien : rester chez soi sera possible à condition d’avoir repensé ses équipements pour les adapter à la perte de mobilité, avec des spécialistes comme BelAvie ou Alogia, qui accompagnent les familles. Monte-escaliers type Stannah et chaises releveuses type Upper revoient leur style pour ne plus être stigmatisants. Des géants comme Legrand Care ou Samsung déploient des solutions de domotique pour contrôler volets, lumières et assistance d’un geste, ou à la voix.
• Garder le lien social : le tout-digital ne remplacera pas le facteur humain. Avoir accès à un réseau de commerces et de soins de proximité devient possible grâce à la transformation d’acteurs de confiance comme La Poste en géants du service. Dans les maisons, la cohabitation intergénérationnelle, comme celle imaginée par Colibree, offre de nouvelles perspectives.