Estelle Castres appartient à ces dirigeantes dont le parcours raconte autant une réussite personnelle qu’une transformation profonde du secteur financier. Aujourd’hui directrice générale de BlackRock pour quatre pays européens, elle parle de marchés, de gestion et d’investissement avec une clarté qui tranche dans un univers souvent jugé opaque. Une évidence pour elle : la compréhension de l’argent doit être un droit, pas un privilège.

« Je lisais des magazines de finance plutôt que des magazines de jeunes filles », se souvient-elle avec un sourire. Cette curiosité précoce trouve sa source dans une enfance modeste, où les fins de mois serrées ont éveillé une question structurante : pourquoi la gestion de l’argent semblait-elle si compliquée pour ses parents ? « J’ai voulu comprendre comment l’économie fonctionne, comment circulent les flux, pourquoi certains s’en sortent mieux que d’autres. »

Cette envie de comprendre l’amène vers une école de commerce, puis un DESS de finance à Sciences Po. Dès son premier poste, elle plonge dans l’univers exigeant du trading. Là où d’autres débutants reproduisent sagement des modèles existants, elle élabore ses propres stratégies. « La passion, la curiosité, l’envie d’apprendre et la capacité à prendre des risques : ce sont les qualités d’un bon trader. Je les avais, instinctivement. »

Après le trading, elle devient gérante obligataire, puis passe aux métiers commerciaux, avant d’entrer progressivement dans le management. Un parcours, où chaque étape nourrit la suivante. Elle insiste : « J’ai toujours fait des pas de côté pour apprendre quelque chose de nouveau. Le mot apprendre revient en permanence dans ma vie. »

Apprendre sans cesse : de la finance à l’intelligence artificielle

À 35 ans de carrière, Estelle Castres revendique encore un « plan d’apprentissage continu ». Elle s’est plongée depuis 18 mois dans l’intelligence artificielle, qu’elle utilise au quotidien. « Je prompte tous les jours, avec Copilot, ChatGPT et d’autres outils. Mon prochain défi, c’est d’atteindre un niveau vraiment avancé. » Cette dynamique d’apprentissage s’inscrit dans une vision : la finance est un secteur d’innovation permanente. « On est extrêmement créatif dans la finance », affirme-t-elle. Chez BlackRock, cette créativité se traduit par une mission : rendre l’investissement accessible à tous, y compris avec de très petits montants.

« Aujourd’hui, on peut commencer à investir avec 5 euros. Il y a 20 ou 30 ans, c’était impossible », rappelle-t-elle.

Le groupe multiplie par ailleurs les outils pédagogiques : vidéos, podcasts, contenus explicatifs. En interne, la BlackRock Academy permet aux collaborateurs de se former, notamment à Python, du niveau débutant au niveau expert. Elle souligne également la présence de BlackRock dans l’économie française : « Nous sommes net investisseurs en France. Nous investissons 240 milliards d’euros et gérons près de 60 milliards pour des clients français. »

Autonomie financière : “Commencez tôt, osez, et prenez des risques quand vous en avez le temps”

Parmi tous les sujets qu’elle porte, l’un est profondément personnel : l’éducation financière des femmes. En observant sa mère se retrouver sans compte bancaire après un divorce, elle prend conscience très jeune de l’importance de l’autonomie financière. Elle-même commence à investir dès les premiers mois de sa carrière.

Son message est direct : « Commencez à placer votre argent le plus tôt possible. Vous-même. »
Elle déplore que de nombreuses femmes adoptent des stratégies trop prudentes : « La peur du risque conduit à des placements trop conservateurs, et sur 10, 20 ou 30 ans, c’est probablement la pire erreur. On passe à côté de la croissance des marchés. »

Retrouvez aussi notre dossier spécial :

Sa vision de l’investissement est simple : la finance sert à financer des rêves.
Études des enfants, achat immobilier, retraite… tout commence par un horizon de temps. Plus celui-ci est long, plus la prise de risque est pertinente. Et plus les versements réguliers – même modestes – construisent un portefeuille résilient. Elle porte aussi un engagement concret en matière d’égalité. Son comex français est aujourd’hui quasiment paritaire : « Faire grandir des talents féminins autour de moi est une priorité. »

Enfin, la dirigeante adresse un message aux jeunes femmes : « Osez. Si vous n’allez pas chercher les opportunités, elles ne viendront pas. » Elle raconte avoir levé la main pour un poste commercial alors qu’elle était gérante obligataire : six mois plus tard, une ouverture se présente, et c’est vers elle que l’on se tourne naturellement. « Parfois, il suffit de dire : j’ai envie d’essayer. »