A la veille du défilé Louis Vuitton qui devait se dérouler dans la Cour du Palais des papes à Avignon, Bernard Arnault était à Paris pour répondre aux questions de la Commission d'enquête du Sénat sur les aides publiques aux entreprises. Dans ses réponses et celles des trois collaborateurs venus l'accompagner, un objectif: démontrer que le groupe LVMH «est probablement le plus patriote de tous ceux du cac 40», comme il l'a martelé.

Interrogé sur les mécanismes d'optimisation fiscale de l'entreprise et ses filiales dans des paradis fiscaux, tels que le Panama, le Luxembourg ou la Suisse, la première fortune de France a tenu à rappeler que son entreprise est celle qui paye «le plus d'impôts en France, alors que seulement 8% de son chiffre d'affaires est fait en France». Mais alors combien ?

Un montant de 6 milliards d'euros d'impôts sur les sociétés payé en 2024

D'après Bernard Arnault, LVMH a réglé pour près de 6 milliards d'euros d'impôts l'an dernier, dont près de la moitié en France. «Au total, ce sont 15 milliards d'euros d'impôts sur les sociétés payés sur 10 ans en France. En moyenne, ces dernières années, l'empreinte fiscale totale, c'est à dire impôt, TVA, charges sociales, c’est plus de 5 milliards d'euros par an», a tenu à rappeler le président directeur général du groupe de luxe lors de son audition au Sénat, mercredi 21 mai.

Une contribution exceptionnelle de 700 millions d'euros supplémentaires cette année

Le groupe qui a réalisé un chiffre d'affaires de près de 85 milliards en 2024 va devoir s'acquitter cette année d'une charge d'impôt sur les sociétés supplémentaire, du fait de la contribution fiscale exceptionnelle demandée aux grandes entreprises. Une augmentation de 40% que Bernard Arnault juge «subite» et dont il estime le surcoût à «700 millions d'euros cette année». De quoi agacer le patron: «Se faire accuser d’optimisation fiscale alors que sommes ceux qui payons le plus d'impôts et allons être ceux qui seront les plus augmentés…», a-t-il glissé, sans terminer sa phrase. L'occasion pour la directrice financière de LVMH, Cécile Cabanis, d'ajouter une petite précision: « Avec un taux d'impôt à 28,5%, qui va passer à 36,6% cette année, si on faisait de l’optimisation on ne serait pas très doués».

Des employés bien rémunérés avec seulement 4% de salariés payés moins de 2250 euros

Lors de son audition, la direction de LVMH a rappelé que le groupe comptait 44 000 employés et que chacun de ces emplois en génère quatre fois plus chez les sous-traitants du groupe, soit «environ 160 000, ça fait 200 000 personnes en France». Pour les collaborateurs directs, travailler chez LVMH permet d'assurer un bon train de vie, grâce à des rémunérations attractives. «Les salaires des collaborateurs du groupe sont parmi les plus compétitifs», a rappelé Bernard Arnault. Et de préciser que seulement 4% des salariés de LVMH sont payés moins de 2250 euros par mois.

Un total de 275 millions d'euros d'aides publiques perçues par le groupe

La commission du Sénat portant sur les aides publiques aux entreprises, les équipes étaient venues avec des informations précises en ce sens. Selon Cécile Cabanis, LVMH a ainsi perçu 275 millions d'euros, toutes aides confondues, en 2023, «qu'il convient de rapporter à une contribution fiscale de 3,8 milliards d'euros». Le gros de ces aides est constitué d'exonérations de cotisations sociales.

Au final, l'entreprise bénéficie assez peu du Crédit impôt recherche (CIR) dont le montant a été chiffré à 30,6 millions pour la même année. Un montant quasiment équivalent au crédit d'impôt mécénat (CIM) de 32 millions d'euros dont LVMH a bénéficié. L'occasion pour Bernard Arnault et ses équipes de rappeler que le don de 200 millions d'euros effectué pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris n'avait donné lieu à aucun crédit d'impôt, puisque le groupe n'a pas demandé à en bénéficier.

© Capture d'écran Capital

Une mécanisme avantageux de détaxe qui concerne environ 1,4 milliard du chiffre d'affaires de LVMH

Si le système de détaxe qui permet à des touristes extra européens de pouvoir acheter des produits de luxe, et de se faire rembourser le montant de la TVA, soit à peu près 20% du montant global de leur achat, n'est pas classé comme une aide aux entreprises, les sénateurs ont considéré que cette politique coûtait à l'Etat et bénéficiait aux groupes de luxe. Alors que François-Henri Pinault avait répondu que la détaxe concernait environ 20% des 930 millions d'euros de chiffre d'affaires que Kering réalisait en France, la commission voulait pouvoir se faire une idée de la chose chez LVMH. «C'est à peu près 20-25% de notre chiffre d’affaires fait avec la détaxe», a indiqué Stéphane Bianchi, en sa qualité de directeur général du groupe. Ce qui, rapporté aux 8 milliards d'euros réalisés en France représenterait donc entre 1,4 et 1,7 milliards d'euros. S'il ne s'agit pas d'entrées d'argent directes pour le groupe, il s'agit d'une part de son chiffre d'affaires réalisé à bon prix par les touristes et capable de déclencher leur acte d'achat. Et une manne financière dont l'État accepte de se priver.

Craignant que la légitimité de ce mécanisme ne soit remis en cause, Stéphane Bianchi était venu avec une étude sur les conséquences de sa suspension au Royaume-Uni, où le système de détaxe a été abandonné il y a deux ans. Boris Johnson estimait que la détaxe coûtait 5 à 6 milliards de livres aux Britanniques. Or la suppression du système a amputé les ventes de produits de luxe et les retombées fiscales de l'Etat. «Le coût évalué pour le Trésor britannique est de 10,7 milliards de livres et 2 millions de touristes en moins», a notamment relevé Stéphane Bianchi. Et de défendre le concept: «On considère que c'est un élément d'attractivité très important pour notre pays», a conclu Stéphane Bianchi. Charge aux sénateurs désormais d'apprécier le coût et l'utilité de la détaxe, ainsi que la légitimité de toutes les aides qu'ils ont passées en revue ces derniers mois. Leur rapport final est attendu le 8 juillet prochain.