
«La versatilité et l’agressivité de la politique commerciale américaine made in Trump sont vraiment inquiétantes. En tant qu’industriel, nous avons besoin de stabilité dans la durée.» A la tête de Thuasne, une société spécialisée dans la fabrication de dispositifs médicaux textiles (300 millions de CA l’an dernier environ l’an dernier) depuis 1991, Elizabeth Ducottet en a vu d’autres en matière de conjoncture délicate.
Pourtant, ces derniers temps, la dirigeante de cette ETI offensive à l’export, avec 60% de son business à l’international, a de quoi se poser des questions. Et pas seulement à cause de la hausse des droits de douane (15%) imposée par la Maison-Blanche à la plupart des importations européennes. Elle surveille aussi de près la valeur du dollar par rapport à l’euro. Car, sur le front des devises, les nouvelles ne sont pas non plus satisfaisantes.
Des exportations en dollar
Branle-bas de combat pour nos champions de l’export ! Entre le 1er janvier dernier et la fin de l’été, le dollar a glissé de plus de 12% par rapport à l’euro. Alors qu’un dollar valait 0,97 euro en janvier, il n’en valait plus que 0,85 euro en ce début octobre. Et cela, ce n’est pas bon pour nos industriels qui fabriquent en euros mais dont les produits sont achetés en dollars aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde, notamment dans les pays émergents. Car si le dollar baisse, une même vente va logiquement rapporter moins, convertie dans notre monnaie. De plus, comme les coûts demeurent les mêmes pour un produit made in France, la marge en prend un coup.
Bien sûr, rien n’empêche d’augmenter ses tarifs, mais là, c’est le client final qui sera mécontent. «Il se crée un désavantage en terme de compétitivité-prix par rapport aux producteurs locaux, avec un risque de perte de parts de marché», observe Julien Pillot, enseignant chercheur en économie à Inseec Grande Ecole. Ce n’est pas tout. Nos sociétés peuvent avoir des activités directement en zone dollar, à commencer par les Etats-Unis. Leurs résultats vaudront également moins en euros, quand les comptes seront consolidés à Paris.
Les matières premières achetées en dollar coûtent moins chères
Cette baisse du billet vert ne relève, en tout cas, en rien du hasard. Certes, les acheteurs internationaux sont devenus plus circonspects face à la politique de Donald Trump. Mais ce dernier plaide ouvertement pour une monnaie moins forte afin de favoriser son industrie, en plus des droits de douane. «Il a même multiplié les pressions contre le président de la FED, la banque centrale, pour qu’il baisse les taux d’intérêt», décrypte Julien Pillot. Or, qui dit baisse des taux dit placements en dollars moins rémunérateurs. «Les investisseurs ont alors anticipé en achetant moins de dollars, ce qui a alimenté sa dépréciation.»
Cependant, cette situation ne présente pas que des inconvénients. Avec un euro fort, l’achat des matières premières libellé en dollar revient mécaniquement moins cher, allégeant d’autant nos coûts de production. Un autre atout est de permettre aux entreprises françaises d’acquérir des actifs et de se développer hors zone euro à un coût moindre, favorisant ainsi leur expansion internationale. Enfin, c’est de nature à attirer des capitaux et aider à la croissance de nos entreprises.
Se protéger avec une couverture de change
Il n’empêche. A l’image de l’économiste Jean-Philippe Serbera, professeur à l'éklore-ed School of Management de Pau, bien des experts estiment «qu’une baisse durable du dollar reste préjudiciable». Il ne faudrait d’ailleurs pas que cela s’aggrave. Pour limiter la casse, les exportateurs ne restent heureusement pas les bras croisés. Une solution classique consiste à se protéger avec des outils financiers de couverture de change. L’idée est de s’assurer à l’avance d’un taux de conversion pour ses futures ventes.
Et ce n’est pas réservé aux multinationales comme Airbus ou Safran ! Réalisant 80% de son chiffre d’affaires à l’export avec 400 salariés, la société Redex, spécialisée dans la production de machines-outils dans le Loiret, y recourt également, même si selon son patron Bruno Grandjean, elle peut se permettre d’augmenter ses prix pour préserver ses marges, la concurrence n’étant pas nombreuse à son niveau de technologie. «On n’est jamais trop prudent.» Mais ces couvertures sont évidemment coûteuses et peuvent être contre-productives si l’évolution des monnaies s’inverse.
Trouver une nouvelle organisation pour limiter les risques
Pour ceux qui ne peuvent pas augmenter leur prix de vente, comme dans le luxe, la préservation des marges peut passer par une politique commerciale privilégiant des produits plus rentables ou, en amont, par des efforts sur les coûts de production et de distribution. Voyez la savonnerie provençale Marius Fabre, par exemple, qui exporte 25% de sa production. Il y a quelques mois, elle a rompu le contrat qui la liait, depuis de longues années, à une société américaine qui entreposait ses produits à Atlanta (Géorgie) et qui fournissait les 50 magasins revendeurs de la marque.
«Nous avons contracté avec un importateur unique à qui nous avons transféré intégralement les coûts de transport et de logistique. Cette nouvelle organisation allège nos engagements financiers et nous protège contre un éventuel recul de nos ventes», explique Julie Bousquet-Fabre, présidente de l’entreprise, qui n’exclut pas de réorienter l’effort commercial de l’entreprise, si nécessaire, vers d’autres régions moins exposées aux fluctuations monétaires et tarifaires… Là où Donald Trump n’a pas d’influence ?
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