Sept ans d’enquête, d’auditions, plus de cent parties civiles, pour une délibération et un verdict : le procès des seize prévenus de l’effondrement de trois immeubles de la rue d’Aubagne à Marseille, qui avait fait huit morts, s’est achevé devant le tribunal correctionnel le 7 juillet dernier. Ce n’est pas un fait divers, c’est bien plus que cela et de ce drame et des condamnations prononcées il faut tirer des enseignements profonds pour la politique du logement et les pratiques professionnelles.

Un seul élu municipal, l’adjoint au maire Jean-Claude Gaudin aujourd’hui décédé, était accusé et il a écopé de deux ans de prison avec sursis assortis de cinq ans d’interdiction d’exercer une fonction publique. Il lui est reproché d’avoir ignoré les enjeux et de n’avoir pas utilisé tout le budget mis à sa disposition pour intervenir directement sur le bâti et le sauvegarder. On sait combien Jean-Claude Gaudin a porté cette tragédie comme une critique criante de son impéritie urbanistique. Cette époque est révolue et les maires doivent désormais prévenir et agir, notamment avec les syndic. Leur responsabilité pénale est engagée et leur responsabilité morale tout autant. Sans conteste, ce procès marque un tournant pour les élus municipaux, mais également pour les politiques publiques.

En effet, pourquoi ces périls sur le parc immobilier existant de nos villes s’aggravent-ils et pourquoi les événements affectant nos patrimoines urbains se multiplient-ils? Le dérèglement climatique, lorsqu’il n’en est pas la cause directe, accentue et catalyse ces phénomènes, en éprouvant nos immeubles et les plus fragiles d’entre eux par priorité. Les pouvoirs publics doivent être moteurs dans l’amélioration de l’habitat. Les maires en tête disposent d’outils spécifiques et de plus de moyens d’autorité, dont ils doivent faire usage, après le rapport et la proposition de loi qui s’en est suivie à l’initiative du député Guillaume Vuilletet, inspirés par le drame de la rue d’Aubagne singulièrement.

Ce sont aussi les professionnels incompétents ou négligents que cette décision de justice désigne à la vindicte. Un cabinet d’administration de biens passif malgré sa connaissance des désordres techniques de l’immeuble -d’autant plus qu’il y était copropriétaire-, un gestionnaire de copropriété inexistant étaient sur le banc des accusés et leurs peines sont lourdes… Quoique: 100000€ pour le premier et 8000€ pour le second ne sont pas à la mesure du prix de huit vies. En revanche l’interdiction définitive d’exercer ne fait pas dans le détail et on le comprend. Un autre acteur professionnel, l’architecte renommé appelé en urgence quelques semaines avant l’effondrement pour expertiser l’immeuble, est condamné pour homicide involontaire: il a avoué avoir bâclé son travail et il a préconisé le retour dans leurs logements des locataires délogés par mesure de protection.

Enfin, des copropriétaires avisés et n’ayant rien fait pour éviter le pire ont été lourdement punis. D’abord les associés de la société civile immobilière (SCI) propriétaire de plusieurs logements locatifs dans l’immeuble: ils iront en prison ou porteront le bracelet électronique pendant avec des peines jusqu’à quatre ans et des amendes jusqu’à 40000€. Il a été jugé qu’ils avait une connaissance parfaite de la situation et que c’est sciemment qu’il n’y ont pas remedié en engageant les travaux nécessaires et en ne sollicitant pas le syndic pour favoriser une décision majoritaire -qui eût été facile à obtenir vu leur nombre de tantièmes dans les copropriétés. Ils y ont d’autant plus été indifférents qu’ils se livraient à l’activité de marchand de sommeil en logeant à des montants de loyer faramineux des ménages pauvres. Ensuite un copropriétaire pas comme les autres, également élu régional et avocat du syndic, au mépris de tout conflit d’intérêt, devra s’acquitter de quatre ans de prison, dont deux avec sursis, assortis de 100000€ d’amende et de l’interdiction pendant cinq ans d’acheter un logement. La preuve à été administrée qu’il avait bloqué les votes pour que les travaux structurels ne soient pas décidés. Là encore, on voit bien que les copropriétaires, s’ils sont informés des risques, ne peuvent pas s’exonérer des actions correctives techniques et qu’aucune raison pécuniaire ne saurait les dispenser de mettre leur patrimoine aux normes élémentaires de décence. Un enseignement pour ceux qui traînent des pieds et attendent par exemple une injonction de la mairie pour réaliser le ravalement d’une façade qui pourrait s'effriter, entraînant le décrochement des balcons en particulier.

En somme, le procès des effondrements de la rue d’Aubagne nous dit que les immeubles vivent, sont affectés de pathologies et que les détenir, les gérer ou avoir la charge des politiques locales de l’habitat ne laisse plus de place à l’insouciance ni à la compétence approximative. L’Immobilier existant entre violemment dans l’ère de la responsabilité. Enthousiasmant pour ceux qui y sont prêts et terrible pour les autres, mal habitués.