
Une bombe à retardement ? Il y a quelques mois, des investisseurs témoignaient pour Capital de leurs déconvenues suite à plusieurs investissements en crowdfunding immobilier : retards à répétition, plateformes aux abonnés absents, porteurs de projets volatilisés… A la clef : des milliers d'euros de perte sèche. Selon les dernières données du cabinet Forvis Mazars avec France FinTech, publiées fin septembre, le «crowdimmo» est bien un investissement qui devient de plus en plus risqué : sur les six premiers mois de 2025, ce sont 20 à 25% des projets qui accusent un retard de plus de six mois, contre 15 à 20% un an plus tôt.
Pour les investisseurs embarqués dans ces projets immobiliers dont ils ne voient pas l'issue, des recours en justice sont-ils possibles ? Pour commencer, il faut rappeler que pour ces placements, la situation a commencé à se dégrader à partir de 2022. Le pic d'inflation consécutif à la guerre en Ukraine, et le renchérissement du coût des crédits, ont en effet compromis nombre de projets immobiliers, devenus soudain plus chers que prévu, ou ne trouvant finalement pas preneur. Autant de situations dans lesquelles le projet de financement participatif tombe alors à l'eau.
Impossible d'attaquer un placement à risque quand il est… risqué
Toutefois, impossible d'attaquer sur ce motif, car ce risque était censé être connu des investisseurs : «En matière d'investissement, il n'y a jamais d'indemnisation pour une perte provoquée par un marché qui se retourne, par exemple», confirme Valentin Simonnet, avocat au Barreau de Paris spécialisé en contentieux judiciaires complexes. Néanmoins, les investisseurs que nous avons rencontrés nous ont indiqué être bien conscients du risque de perte encouru, notamment en raison des rendements affichés, qui pouvaient dépasser les 10%. En réalité, leurs griefs se concentrent sur d'autres aspects qui, eux, peuvent bien faire l'objet de poursuites.
La première option est de mettre en cause la responsabilité civile des plateformes de crowdfunding immobilier. Il faut alors prouver qu'elles ont manqué à leur devoir d'information, «ou qu'elles ont transmis, sur les porteurs de projets, des données fausses, non vérifiées, etc.», précise Valentin Simonnet. Dans ce cas, direction le tribunal de commerce. Idem si on peut montrer que la plateforme n'a pas respecté le «deal» passé avec l'investisseur, si par exemple - comme cela est presque systématiquement le cas - elle s'était engagée à vous restituer une partie de votre capital à une échéance donnée.
Agir au plus vite qu'importe le motif
«Dès qu'on voit qu'un coupon n'est pas payé, ou qu'une échéance n'est pas respectée, il faut agir tout de suite en référé pour non-respect du contrat, sans attendre que cela devienne plus compliqué», appuie Gaël Collin, avocat associé et cofondateur de Colman Avocats. Avec une procédure en référé - c'est-à-dire en urgence - le jugement doit être rendu dans les six mois. Qu'importe le motif, il faut en tous les cas toujours agir au plus vite, conseille l'avocat, y compris pour attaquer au pénal, qui est la troisième possibilité de poursuite.
Dans cette hypothèse, l'affaire sera jugée devant un tribunal correctionnel, et non plus de commerce. Ici, ce n'est plus la plateforme qui est visée, mais l'opérateur immobilier, «qui peut être attaqué au pénal pour escroquerie ou intention de nuire», détaille Gaël Collin. Une situation dont témoignent plusieurs investisseurs, qui affirment que certains opérateurs se seraient envolés avec l'argent destiné à financer le projet immobilier, ou auraient levé plus que nécessaire afin de s'enrichir personnellement.
A-t-on une chance de récupérer sa mise ?
Mais face à des opérateurs volatilisés, ou qui ont liquidé leur société, a-t-on une chance de récupérer tout ou partie de son investissement ? C'est possible, selon Gaël Collin, à condition de se dépêcher : «Les premiers qui assignent ont plus de chance de récupérer les fonds de la société s'il y en a encore. Sinon, il est possible de nommer un administrateur provisoire de la société, qui est chargé de tout vendre et de liquider. Ainsi, même s'ils ne retrouvent pas tout, les plaignants récupèrent quelque chose. Le risque, c'est néanmoins qu'après le paiement des taxes, de l'Urssaf, des salariés de la société, il ne reste plus rien pour les investisseurs lésés.», concède-t-il.
Valentin Simonnet se montre plus pessimiste, «une fois que la plateforme ou la société du porteur de projet a mis la clef sous la porte, il devient très difficile de récupérer quoi que ce soit», car parmi les créanciers, les investisseurs ne sont pas en haut de la pile, «et ce, parfois même si la plateforme a indiqué le contraire !», précise-t-il. Outre le risque de recouvrer rien ou peu, il faut prendre en compte le coût de la manœuvre : «Si vous avez investi 5 000 ou 6 000 euros, cela fait réfléchir de réengager 5 000 euros dans une procédure judiciaire», pointe l'avocat.
Toutefois, pour réduire les coûts et maximiser ses chances de ne pas s'engager à fonds perdus, agir à plusieurs est une option : «côté coût, cela permet de partager certains frais, comme les honoraires. En outre, on peut donner plus de force à l'accusation avec plusieurs plaignants. En revanche, si vous êtes victime d'escroquerie et que la société est solvable, allez-y seul et au plus vite.», conseille Gaël Collin.
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