En 2023, la médecine du travail a rendu 138 176 avis d’inaptitude. Soit 3 801 de plus qu’en 2022, selon la direction générale du travail. Une hausse que le cabinet Voltaire Avocats constate très concrètement, comme il l’a souligné lors d’un webinaire organisé ce jeudi 17 juillet. Pour rappel, l’inaptitude intervient lorsque le médecin du travail vous déclare inapte à votre poste, partiellement ou totalement, à la suite d’une maladie d’origine non professionnelle. Il peut cependant vous juger apte à exercer un autre emploi adapté : on parle alors d’un avis d’inaptitude avec réserves. Et c’est justement ce type d’avis qui, depuis le Covid, est de plus en plus utilisé par les salariés comme une sortie de secours. «On a vu une explosion du nombre d’avis d’inaptitude avec préconisation du télétravail, trois jours par semaine, voire du full télétravail, souvent pour des collaborateurs dont le conjoint avait déménagé», observe Louise Peugny, avocate associée au sein du cabinet juridique.

Le licenciement pour inaptitude pour toucher le chômage

Et si votre patron ne parvient pas à aménager votre poste, alors votre employeur est contraint de vous licencier. Ainsi, l’avis d’inaptitude présente un avantage pervers pour les salariés qui voudraient changer de job : il permet d’éviter la démission sèche. En cas de licenciement pour inaptitude, vous touchez une indemnité légale de licenciement, égale à 1/4 de mois de salaire par année d'ancienneté jusqu’à 10 ans, puis 1/3 de mois de salaire au-delà, comme le rappelle le site de l’administration française. Et ce, tout en conservant vos droits à l’allocation chômage. «En cas d’inaptitude dont l’origine est professionnelle, comme une maladie professionnelle ou un accident du travail, alors cette indemnité est même doublée», ajoute l’avocate Louise Peugny.

Une stratégie de sortie privilégiée par une partie des salariés en arrêt maladie de longue durée, selon le cabinet. Pour rappel, la Sécurité sociale indemnise un arrêt de travail dans la limite de trois ans. Et lorsque le salarié arrive en fin de droit, l’avocate le concède : «Le retour au travail n’est clairement plus envisageable, ni pour le travailleur, ni pour l’employeur». Dans ces cas-là, l’avis d’inaptitude permet d’acter la séparation, sans passer par un licenciement pour motif personnel. «C’est fréquent qu’au bout de trois ans d’arrêt, le médecin intervienne pour constater une inaptitude. Dans certaines situations, les deux parties y trouvent leur compte», corrobore l'experte.

Certains salariés seniors, «proches de l’âge de la retraite et qui ne donnent plus entièrement satisfaction à leur employeur», dévoient eux aussi le principe d’inaptitude. constate-t-elle. Le médecin du travail les déclare inaptes, souvent avec l’accord à demi-mot de l’employeur. Résultat, ils perçoivent des indemnités «plus importantes qu'une indemnité de départ à la retraite, dont le régime fiscal est en plus moins intéressant», souligne Louise Peugny. Il y a quelques semaines, un médecin du travail dénonçait déjà cette instrumentalisation de la reconnaissance d’inaptitude, tant des salariés que des employeurs, dans les colonnes du Monde : «J’ai la sensation, dans un nombre croissant de cas, de n’être considéré que comme une “caisse enregistreuse”, un dispositif parmi d’autres que l’on cherche à activer pour rompre un contrat de travail.»