
A parcourir les innombrables rapports et enquêtes publiés sur le sujet depuis deux ans, l’arrivée de l’intelligence artificielle générative (IAG) dans l’entreprise et dans la vie quotidienne représenterait la plus grande révolution depuis… l’Internet, voire, selon certains disciples transis, depuis l’imprimerie. Rien que cela! Avec son lot de projections et de prévisions apocalyptiques… Des milliers d’emplois potentiellement supprimés, un décrochage concurrentiel pour les entreprises et les salariés qui ne se seraient pas approprié ces outils «révolutionnaires» en mesure de produire de nouvelles données (textes, images, musique…) quasi identiques à celles créées par des êtres humains.
L’écume médiatique retombée, qu’en est-il vraiment de l’usage de l’IAG dans les organisations et de l’appropriation de ces outils par les salariés au quotidien? Paradoxe. Si 93% des dirigeants d’entreprises françaises estiment que ces technologies vont transformer leur activité, 39% d’entre eux n’ont encore rien mis en œuvre pour les intégrer, révèle l’enquête réalisée par Dékuple x OpinionWay (mai 2024). Toutefois, 6 entreprises sur 10 ont engagé des tests. Autrement dit, l’histoire est en marche et il semble illusoire d’imaginer un retour en arrière.
Des secteurs pourraient connaître des gains de productivité cinq fois supérieurs aux autres
Gare aux retardataires ! Selon le premier baromètre mondial de l’emploi en IA du cabinet de conseil et d’audit PwC paru en mai 2024, les secteurs les plus exposés à l’IA connaîtraient des gains de productivité cinq fois supérieurs aux autres. D’où la nécessité pour les entreprises de former leurs salariés à cet IA révolutionnaire ! Même impératif pour les collaborateurs en quête de mobilité ou de reconversion professionnelle, dont certains devront s’autoformer.
Les bénéfices ? «L’automatisation des processus métier favorisée par ces outils libère les employés de tâches répétitives leur permettant de se consacrer à des activités à plus forte valeur ajoutée», rappelle Cyril Pierre de Geyer, directeur général de la Rocket School, qui propose de nombreuses formations sur le sujet. Autre vertu de l’initiation à l’IAG : assurer son employabilité, démontrer sa capacité à s’adapter aux évolutions technologiques et se montrer disposé à embrasser le changement. Des qualités particulièrement recherchées par les employeurs.
D’ailleurs, PwC indique que, en France, les offres d’emploi nécessitant des compétences en IA ont été multipliées par 7 entre 2018 et 2023. Soit une progression plus rapide que dans les autres pays étudiés. Autre bonne nouvelle pour les intéressés, la maîtrise de l’IAG permet une augmentation salariale non négligeable : +25% sur certains métiers (PwC). «Contrairement à l’IA spécialisée, qui se concentre sur des tâches spécifiques et limitées, l’IA générative permet une meilleure réponse aux besoins des entreprises et d’effectuer des tâches comparables à celles d'un être humain dans une grande variété de domaines», rappelle Bpifrance Le Lab dans son étude «L’IA générative dans les TPE et PME» diffusée au printemps 2024.
Deux catégories de salariés impactés par l'IAG
«Les technologies évoluent à vitesse grand V. Il est utile de se former aux outils numériques et à l’IA générative. Plus largement, il est nécessaire de se mettre à jour en permanence sur les nouvelles technologies. S’y soustraire comporte de nombreux risques, en termes de compétitivité, d'employabilité et de position dans l’entreprise», résume Tanguy de la Villegeorges, cofondateur de l’application mobile WeWard spécialisée dans la récompense des utilisateurs marcheurs. Directeur digital chez Mindquest, une société de services de recrutement de consultants dans la tech et la finance, Felix Lemaignent distingue deux catégories de salariés sur lesquels, selon lui, l’impact de l’IAG s’exerce.
D’une part, ceux dont le métier sera directement transformé par ces technologies, par exemple le secteur de la tech, qui les utiliseront tous les jours pour effectuer leurs tâches et dont les mises à jour sur ces outils seront fréquentes et obligatoires. D’autre part, des profils de salariés «standards» qui seront concernés indirectement. «Ces collaborateurs appliquent déjà les bonnes pratiques de recherches sur Google, par exemple. En s’appropriant l’IA générative, ils travailleront plus vite et plus efficacement et pourront effectuer un plus grand nombre de tâches. Ils pourront notamment maîtriser une gamme beaucoup plus étendue de formules Excel complexes, sans nécessairement avoir à les mémoriser. Idem pour la conception de présentations PowerPoint qui gagne en impact et en professionnalisme», souligne le recruteur. Et d’ajouter qu’au-delà de la nécessaire appropriation pédagogique de ces outils, c’est dans «l’expérience et l’usage que seront possibles la maîtrise et la pleine exploitation des capacités de l’IAG».
L'intelligence artificielle générative, une aide au quotidien
Product designer chez ZestMeUp, une application digitale RH (engagement des équipes), Mickaël Dias, 27 ans, s’est formé «en autodidacte» à l’IA générative. «J’ai appris tout seul l’année dernière, comme bon nombre de gamers ou de geeks comme moi. C’est un peu dans nos gênes de s’approprier les technologies émergentes», glisse-t-il. Dans son métier de créateur d’interfaces, il se sert désormais quotidiennement de ChatGPT pour élaborer des «personas clients», ces représentations semi-fictives de clients «idéaux». «Avant l’arrivée de l’IAG, ces avatars, qui nous permettent de tester des concepts, étaient difficiles à réaliser. Cela nécessitait une analyse approfondie et fastidieuse des données. Grâce aux nouveaux outils d’IA, ce processus est infiniment plus rapide et efficace. J’estime gagner une à deux heures par tâche», se réjouit-il.
Recruteur au sein du Mercato de l’emploi, un réseau national de recruteurs indépendants, Jonathan Gozard s’est également autoformé à ChatGPT tout en suivant assidûment les formations internes de son réseau (capsules vidéo, réunions mensuelles en visioconférence, base documentaire de bonnes pratiques). «Concrètement, cela m'aide à analyser plus rapidement les CV, à rédiger des offres d'emploi attractives et personnalisées, et au final à mener des entretiens plus pertinents», souligne-t-il. Persuadée de la nécessité de ne pas passer à côté d’une innovation technologique, possiblement majeure, la société bretonne Medaviz, spécialisée dans la télémédecine, a formé, collectivement, ses 35 collaborateurs à l’IAG au printemps dernier. Soit deux sessions de sept heures. «Nous souhaitions jauger les risques et les opportunités de ces outils. Nous avons été convaincus et avons commencé à les utiliser, notamment ChatGPT et Mistral, explique Fany Gautier, sa responsable RH. Nous utilisons ces applications comme une sorte de coach qui nous challenge, avec lequel nous échangeons et coconstruisons des projets et des contenus. Utilisant des données de santé sensibles, nous sommes en revanche très vigilants dans nos interactions avec ces IAG. S’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de ces technologies sur notre business, nous avons remarqué que nos collaborateurs de tous âges et de différents départements testent et/ou utilisent régulièrement cette technologie.»
Une valeur ajoutée sur un CV
Côté salariés, dans quelle mesure, à plus ou moins long terme, la maîtrise de l’IAG pourra-t-elle représenter une véritable valeur ajoutée sur un CV? «Cela devient une compétence recherchée et discriminante dans le secteur de la tech. Par exemple, les développeurs Web en maîtrise de l’IAG sont des “développeurs augmentés” par rapport aux développeurs traditionnels. Pour les autres salariés, la productivité induite par la maîtrise de ces outils représente un avantage non négligeable pour obtenir un poste face à un concurrent», tranche Olivier Fécherolle, CEO de la Wild Code School, spécialisée dans la formation aux métiers de la tech.
«Sur le CV, les compétences IA peuvent être valorisées dans un bloc dédié, avec l’indication du badge de compétence précis, notamment pour les profils techniques, recommande Julien Badr, président du Mercato de l’Emploi. Lors des entretiens, tout en restant humble, je trouve intéressant de mentionner que l’on a pris les devants en se formant à ces technologies, y compris s’il s’agit d’une formation basique.»
Dans quelle mesure l’IA va-t-elle, dans les dix prochaines années, devenir le passeport indispensable et obligatoire pour l’emploi, au même titre que le TOEIC, la certification standardisée attestant de la maîtrise de l’anglais? «Aujourd’hui, l’IA est une composante transverse et non une fin en soi mais, dans dix ans, ne pas utiliser l’IA sera aussi pénalisant que de ne pas savoir utiliser Internet aujourd’hui», diagnostique Cyril Pierre de Geyer (Rocket School). Vous voilà prévenu !
«J’utilise ChatGPT tous les jours»
«Activa est une société de capital-investissement. Dans le cadre d’un processus d’amélioration continue de nos process et de nos compétences, nous avons souhaité nous former collectivement (12 collaborateurs) à l’IA générative. La formation, assurée par la Rocket School, s’est déroulée en février 2024 à raison de deux sessions de trois heures et demie chacune. Depuis ce cursus, j’utilise ChatGPT tous les jours pour réaliser des synthèses de documents juridiques fastidieux, l’automatisation de rédaction de textes pour les emails… L’objectif de notre société est d’identifier des entreprises cibles pour conclure des deals. L’IA générative nous permet de scanner rapidement le marché et d’effectuer un premier filtre de qualification. En revanche, ce sont les membres du cabinet qui analysent en profondeur les dossiers. Ces outils représentent de formidables aides à la décision, mais ils ne nous indiquent pas de manière précise et définitive si ces projets sont pertinents ou non.»
Valentine Loyer, chargée d’affaires au sein du fonds Activa Capital
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