
Bien le bonjour d’Albert ! Voilà maintenant un peu plus d’un an que le laboratoire Datalab de la Direction interministérielle du numérique (Dinum) a lancé cette intelligence artificielle, dans le but de simplifier le quotidien de nos fonctionnaires surmenés. 80 conseillers des maisons France Services ont été les premiers à l’expérimenter. Albert les aide à répondre aux sollicitations des Français qui se renseignent sur leurs démarches administratives, en cherchant des informations sur les réglementations en vigueur et en formulant automatiquement des propositions de réponses.
Depuis, Albert s’est déclinée en une ribambelle d’applications via Albert API, une sorte de trousse à outils mise à disposition des informaticiens de la fonction publique. Son inventaire inclut notamment plusieurs modèles d’intelligence artificielle dite open-source, librement accessible et utilisable sans restriction, comme celle mise au point par Mistral AI ou Meta (ex-Facebook). Les développeurs des ministères peuvent y puiser des algorithmes et les personnaliser pour mettre au point leurs propres applications.
Des temps de réponse divisés par 2
De nombreuses fonctions d’intelligence artificielle ont par exemple été déployées dans La suite numérique, la panoplie d’outils de bureautique (traitement de texte, messagerie, tableur, outil de visioconférence, etc) lancée l’an dernier par le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques. Cette suite, qui se veut une alternative souveraine aux best-sellers Microsoft 365 et Google Workspace s’est ainsi enrichie de nouveaux outils d’IA, pour résumer ou traduire des documents, rédiger des textes, générer une formule dans un tableur et bientôt, produire des comptes-rendus de visioconférences à la demande.
Le choc de simplification tant attendu de notre bureaucratie ? «Notre leitmotiv, c’est de faciliter les procédures, d’accélérer leur exécution, pour contribuer à des politiques publiques plus efficaces et souveraines», résume Ulrich Tan, le chef du Datalab.
Un cousin d'Albert est par ailleurs utilisé sur Services Publics +, pour suggérer aux agents des réponses aux avis – pas toujours très flatteurs - laissés par les usagers à propos de nos services publics. «Le temps de réponse moyen qui était de 6 jours a été divisé par 2», se félicite Ulrich Tan. Selon lui, une quarantaine d’autres applications d’intelligence artificielle seraient en cours d’expérimentation.
Analyse d'impact environnemental et recherche d'emploi
Pour les faire émerger, l’Etat dispose même d’un incubateur dédié, ALLiaNCE. Cette structure qui regroupe administrations, laboratoire de recherches, grandes écoles et entreprises soutient de nouveaux projets, tels qu’Aristote. Portée par CentraleSupélec, l’application vise à générer, à destination des étudiants, des questionnaires sous formes de quiz. Aristote les crée automatiquement à partir d’un support de cours, en PDF ou en vidéo. LIRIAe est un autre exemple. Développée par le ministère de la Transition écologique, cette application propose d’aider ses agents à analyser des dossiers d’évaluation environnementale, des pavés qui peuvent comporter plusieurs milliers de pages. Et bien sûr, cette IA assiste aussi les agents dans la rédaction des avis qu'ils doivent rendre.
Mais plutôt que de faire appel à Albert ou à Alliance, d’autres administrations préfèrent faire appel à des start-up. La semaine dernière, par exemple, France Travail (ex-Pôle Emploi) a annoncé un partenariat avec la start-up française Mistral AI, pour mettre au point de futurs assistants intelligents. MatchFT, par exemple, sera destiné à assister les agents de France Travail dans leurs échanges avec les demandeurs d’emploi.
Travail mâché pour les parlementaires
Depuis un peu plus d’un an, déjà, plusieurs centaines d’agents des ministères de la Justice, des Affaires sociales, de l’Ecologie et de l’Intérieur ont quant à eux recours à Theia, un assistant automatisé. Sa mission : les aider à produire les textes de lois, décrets ou ordonnances qui sont publiés chaque année par dizaines de milliers dans l'incontournable Journal Officiel.
A la Direction générale des finances publiques, les fonctionnaires ont recours à l’IA Signale pour résumer des amendements, ces textes qui visent à modifier une loi. Cette IA a aussi été conçue pour rédiger des «fiches de banc», de brefs documents de synthèse destinés à aider les parlementaires à répondre à des questions précises lors de débats à l’Assemblée nationale ou au Sénat.
Pour les services des impôts, l'IA n'est pas vraiment une nouveauté. Le fisc l'exploite depuis plusieurs années, en s’appuyant notamment sur des images satellitaires pour détecter des déclarations frauduleuses. Après avoir commencé par traquer les piscines, cette nouvelle technologie est désormais entraînée à repérer les vérandas ou les abris de jardins non déclarés.
Chasse à la fraude... et aux fuites d'eau
Les collectivités locales s’y mettent aussi. Dans l’Hérault, la Direction départementale des territoires et de la mer s'en sert pour localiser les constructions illicites. Baptisé Aigle, le logiciel analyse les cartes aériennes de l’Institut géographique national (IGN) pour trouver les bâtisses non autorisées, en bordure de mer ou dans les espaces naturels sensibles.
En Auvergne-Rhône-Alpes, la Communauté d’agglomération Portes de l’Isère (Capi) chasse même les fuites d’eau ! L’IA analyse une centaine de paramètres – nature du sol, densité du trafic routier, matériau de la canalisation – et produit une carte. Celle-ci met en évidence, au mètre près, les zones où les fuites sont le plus susceptibles de se produire. L’agglomération peut ainsi mieux cibler les canalisations à rénover en priorité.
L’Education nationale, quant à elle expérimente l’IA pour alléger les corvées de ses gestionnaires RH. Dans l’académie de Lyon, le rectorat a ainsi recours depuis septembre 2023 à Cassandre, une IA conçue pour assister ses quelque 40 gestionnaires à répondre aux demandes des enseignants, qu’il s’agisse de questions portant sur la mobilité, les affectations de stagiaires ou les reclassements. Cassandre puise dans les textes réglementaires et rédige des propositions de réponses. La semaine dernière, Elisabeth Borne a annoncé qu’elle comptait généraliser cet outil à l’usage des RH de l’Education nationale, qui compte 1,2 million de salariés.
Vers un enseignement plus personnalisé ?
La ministre a par ailleurs annoncé le lancement d’ici cet été d’un appel à projets visant à développer une IA pour assister les professeurs. L’application aurait pour but notamment d’aider les enseignants à préparer leurs cours et corriger les devoirs.
En matière de pédagogie, certains attendent beaucoup de l’intelligence artificielle. Plusieurs applications ont d’ailleurs déjà émergé, comme Adaptiv’Math expérimentée dans les classes de primaire depuis 2022 pour mieux cibler les difficultés des élèves en mathématiques. Ou encore Mia Seconde, testée depuis le premier semestre 2024 pour personnaliser l’apprentissage du français et des mathématiques des lycéens. «L’intelligence artificielle peut accompagner chaque élève à son rythme et en fonction de ses besoins», résume Thierry de Vulpillères. Cet ancien directeur des partenariats éducatifs chez Microsoft a fondé avec son épouse Catherine, agrégée de Lettres, la start-up EvidenceB à l’origine de ces deux applications. Leur principe consiste à évaluer le niveau de chaque élève par un premier test, avant de lui soumettre d’autres problèmes personnalisés en fonction des lacunes détectées. Les exercices ont été conçus par des enseignants et des chercheurs en sciences cognitives de l’Inria.
Mais reste encore à apprécier l’accueil des enseignants, envers cette technologie qui pourrait chambouler leurs méthodes de travail. Car numérique et Education nationale n’ont pas toujours fait très bon ménage. Souvenez-vous par exemple de ces quelque 4 000 robots de téléprésence acquis il y a 4 ans par le ministère de l’Education nationale, pour diffuser en streaming les cours que les élèves malades ne pouvaient pas suivre en classe. Ces automates à roulettes ont coûté 10 millions d’euros. Et aujourd’hui, beaucoup la plupart rouillent au fond d’un placard.



















