
Ce ne sera pas pour tout de suite. Le 16 avril dernier, le PDG de l’armateur français CMA CGM était attendu en Algérie pour rencontrer le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, et annoncer un ambitieux plan d’investissement dans les activités portuaires du pays. La veille de son arrivée, Rodolphe Saadé reportait pourtant son voyage, sans explication. Pas besoin d’être grand clerc pour faire le lien avec l’expulsion par la France, le même jour, de 12 fonctionnaires algériens, ainsi que le rappel de son ambassadeur. Une réponse à la déclaration des autorités algériennes du 13 avril, demandant à 12 agents français de quitter le territoire sous quarante-huit heures. Dans la foulée, la principale organisation patronale algérienne annulait sa venue prévue à Paris pour échanger avec le Medef… «Mais jusqu’où cette escalade va-t-elle aller ?», se désole Michel Bisac, président de la CCI France Algérie.
Cette question, les dirigeants des quelque 5 500 sociétés tricolores qui commercent avec l’Algérie (près de 500 y sont implantées) se la posent aussi. Certes, depuis l’indépendance du pays en 1962, les relations entre la France et son ancienne colonie ont toujours connu des hauts et des bas, auxquels les milieux économiques ont fini par s’habituer. Mais depuis qu'Emmanuel Macron a clairement soutenu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, un territoire revendiqué aussi par l’Algérie, en juillet dernier, les tensions ont atteint un niveau sans précédent : arrestation à Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal pour atteinte à l’unité nationale, refus d’accepter les ressortissants algériens renvoyés de France pour situation irrégulière, réactions aux accents nationalistes de chaque côté de la Méditerranée… Cette surenchère permanente ne peut qu’affecter les échanges commerciaux entre les deux pays, lesquels ont représenté 11,1 milliards d’euros en 2024. Mais dans quelle mesure ?
Un solde commercial négatif pour la France
Sans surprise, nos échanges commerciaux avec l’Algérie pèsent peu dans notre commerce extérieur (0,8% de nos exportations, 0,9% de nos importations), ce qui n’est pas le cas de notre partenaire, pour qui nous représentons près de 14% de ses ventes et 8% de ses achats. En revanche, le solde commercial entre les deux nations est en notre défaveur (– 1,5 milliard en 2024). L’explication ? Depuis 2021, crise énergétique puis guerre en Ukraine obligent, la France a dû acheter davantage d’hydrocarbures algériens pour réduire sa dépendance à la Russie. Or, ceux-ci représentent l’essentiel de nos importations (79%).
Pourrait-on s’en passer en cas d’aggravation de la crise ? Plus compliqué sans doute pour le gaz que pour le pétrole. Mais les experts en conviennent. Le domaine est sensible, chaque pays ayant besoin de l’autre et les contrats longs ne pouvant être remis en cause facilement. Sur le terrain, cela n’empêche pas nos grands groupes d’afficher des stratégies différentes, à l’image de TotalEnergies qui poursuit ses activités avec la compagnie nationale Sonatrach, alors qu’Engie a décidé de céder ses parts dans le projet gazier de Touat, sans vouloir nous en préciser la cause.
L'agriculture et l'automobile déjà touchées
Si ce commerce stratégique devrait être épargné, d’autres activités semblent plus exposées. Cet automne, une rumeur concernant la suspension de l’enregistrement obligatoire (domiciliation) des importations venues de France auprès des banques en Algérie a même provoqué une vive inquiétude, avant un démenti du gouvernement local. Pour nos agriculteurs en revanche, le mal est bien réel. En octobre, l’Office algérien interprofessionnel des céréales a écarté les producteurs français de son appel d’offres pour l'importation du blé. Alors que 5,4 millions de tonnes de blé tendre étaient exportées en Algérie en 2018, aucun grain tricolore ne rentrera dans le pays en 2025 ! La vente de viande bovine est également dans le collimateur. «L’Algérie ne commande plus rien à nos éleveurs depuis septembre dernier», affirme un membre de l’Interprofession Bétail et Viande.
On l’aura compris, pour les entreprises et notamment celles de petite taille, cette incertitude au quotidien est source de stress, d’autant que l’administration algérienne peut facilement bloquer des marchandises sans fournir d'explication. «Nous ne sommes clairement pas dans un état de droit», rappelle l’économiste et ancien haut fonctionnaire Jean-Louis Levet, qui connaît bien les méandres de sa bureaucratie. Et cela ne date pas d'aujourd'hui. Un exemple flagrant L’usine Renault d’Oran, qui produisait encore plus de 60 000 véhicules en 2019, est aujourd’hui à l’arrêt. Le constructeur français affirme pouvoir respecter le décret qui impose l’utilisation d’au moins 30% de pièces produites localement. Pourtant, il attend toujours les autorisations. A l’inverse, l’italien Fiat réussit à faire tourner son site ouvert en 2023 à Tafraoui. Est-ce parce qu’il a su nouer de meilleurs deals avec des sous-traitants proches du pouvoir en place ?
Les autorités algériennes ne le cachent pas. Elles veulent réduire leur dépendance à la France, qui reste tout de même l’un des premiers investisseurs étrangers dans le pays et fournit toujours nombre de produits pour les secteurs automobile, pharmaceutique, chimique ou électrique. Depuis quelques années déjà, l’Italie, qui achète près de 40 % de son gaz à l’Algérie, avance ses pions grâce à des partenariats montés par le groupe pétrochimique ENI et en investissant massivement, notamment dans l’agriculture. Et que dire de la Chine, devenue en quelques années le premier fournisseur commercial du pays et dont la discrète diplomatie au service de ses entreprises est à coup sûr très efficace…
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