Enfin. Matignon a indiqué jeudi 19 septembre avoir transmis aux commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, «les documents budgétaires élaborés par le gouvernement démissionnaires». Ils étaient attendus depuis déjà plusieurs semaines par les rapporteurs généraux des deux chambres. Mercredi, Eric Coquerel (LFI), président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, et Charles de Courson (LIOT), rapporteur général du budget, s'étaient rendus à Bercy pour obtenir les lettres-plafonds, sans succès. La vieille, les deux députés étaient déjà à Matignon avec pour objectif de ramener ces documents «indispensables pour commencer à faire le travail nécessaire sur le budget». «Nous aurions préféré qu’on nous les amène en bonne et due forme dans notre bureau», a regretté Eric Coquerel, ajoutant qu’on était «en train de franchir toutes les lignes rouges».

La veille, mardi, les deux hommes s’étaient dits «en colère» et «sidérés». «C’est un droit constitutionnel qui est octroyé au président de la commission des finances et au rapporteur général du budget, on nous l’a refusé», a souligné Eric Coquerel pour qui Emmanuel Macron met «en danger la démocratie». «Nous avions demandé dès le mois de juillet au Premier ministre sortant, Gabriel Attal, de nous communiquer ces lettres-plafonds aussitôt qu'il les aurait signées, a précisé Charles de Courson. Il les a signées - alors qu'il expédiait les affaires courantes - mais ne nous les a pas transmises».

Les lettres-plafonds, documents incontournables à l’élaboration du budget 2025

Les lettres-plafonds définissent pour chaque ministère la limite des crédits attribués pour l’année suivante. Il ne s’agit pas de documents à valeur juridique, mais ces «lettres» sont une étape incontournable à l'élaboration du budget et donc du projet de loi de finances. Elles ont été envoyées aux ministres démissionnaires le 20 août par Gabriel Attal, prédécesseur de Michel Barnier, avec plus d’un mois de retard, alors qu'elles étaient initialement attendues pour le 15 juillet. Ces lettres introduisent un concept inédit : le «budget réversible», permettant au nouveau gouvernement de procéder aux ajustements nécessaires. Elles prévoient notamment un gel général des dépenses de l’Etat à hauteur de 492 milliards d’euros, au détriment des ministères du travail et de l’emploi.

Selon la loi, les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat peuvent procéder «à l’évaluation de toute question relative aux finances publiques» et ainsi mener «toutes investigations sur pièces et sur place, et à toutes auditions qu’ils jugent utiles». Tout document d’ordre financier et administratif «y compris tout rapport établi par les organismes et services chargés du contrôle de l'administration» doivent leur être fournis.

Lundi soir, le Premier ministre a confirmé dans un courrier au président de la commission des finances de l’Assemblée nationale que le budget serait bien «construit sur la base de ces lettres-plafonds». Michel Barnier a également promis de lui envoyer d’ici la fin de la semaine «une version provisoire» du «tiré à part», un rapport qui résume les crédits par mission et les orientations générales du budget, basé sur les lettres-plafonds. Ce document, qui devait être envoyé avant le 15 juillet, a finalement été transmis jeudi matin.

Quelle est la raison de ce retard ? Pour Matignon, il ne s’agit pas de «rétention d’information», rapporte Les Echos. «Les lettres-plafonds qui ont été envoyées par le précédent gouvernement ne sont pas définitives. Le Premier ministre souhaite encore effectuer des arbitrages, une fois que son équipe sera constituée. Par souci de transparence et respect des parlementaires, nous voulons envoyer les documents définitifs, ce qui sera le cas dans les tout prochains jours», justifie le gouvernement.

Une situation budgétaire «très grave» pour Michel Barnier

La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun Pivet, a souligné l'importance pour le Parlement d’obtenir ces documents «pour continuer à travailler, à avancer», affirmant que «le Parlement est en droit» de les exiger. Le projet de loi de finances, qui définit les recettes et dépenses de l’Etat, doit être présenté en conseil des ministres fin septembre. Toutefois, Michel Barnier n’a pas encore constitué son gouvernement. Le texte est attendu à l’Assemblée le 1er octobre, avec une publication au Journal officiel avant le 31 décembre 2024. Barnier envisage de retarder de huit jours la présentation du budget 2025.

D’autant plus que le budget 2025 s’annonce austère. Bruno Le Maire, le ministre démissionnaire de l’Economie, a annoncé un nouveau dérapage des finances publiques début septembre. Le déficit des comptes publics pourrait atteindre 5,6 % du PIB cette année, alors qu'il était prévu de descendre à 5,1 % en 2024, dans l'objectif de revenir à 3 % en 2027, le plafond autorisé par l’Union européenne. De son côté, Michel Barnier juge la situation budgétaire du pays «très grave». «J’ai demandé tous les éléments pour en apprécier l’exacte réalité. Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité», a-t-il affirmé à l’AFP, mercredi, laissant entendre la possibilité d’augmenter les impôts. Une idée qui ne passe pas bien, ni pour la macronie, ni pour le Rassemblement national.

Pierre Moscovici, le patron de la Cour des comptes, est tout aussi alarmant. «L’objectif de déficit pour l’année 2024 (à 5,1% ndlr) ne sera pas atteint», a-t-il déclaré devant la commission des finances de l’Assemblée nationale ce 18 septembre. «Je pense (...) que le budget pour 2025 sera sans doute le plus délicat ou (l’)un des plus délicats de la Ve République. Il est impératif de dire la vérité aux Français à travers le projet de loi de finances», a-t-il ajouté. La suite au prochain épisode.