
Le Parlement a définitivement adopté mardi 9 juillet la loi agricole Duplomb-Menonville, qui a fracturé l'Assemblée nationale, notamment sur sa mesure de réintroduction dérogatoire d'un pesticide de type néonicotinoïde. Initiée par les sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (UDI, centre), la proposition de loi, adoptée par 316 voix contre 223 lors d'une dernière séance tendue à l'Assemblée, est présentée comme l'une des réponses à la colère des agriculteurs de l'hiver 2024.
Réclamée par la FNSEA, syndicat agricole leader, et ses alliés des Jeunes agriculteurs qui ont salué tous deux après le vote «un premier pas pour relancer notre appareil de production agricole», la loi est critiquée par la Confédération paysanne, troisième syndicat agricole français. Ce texte «entérine qu'une majorité d'élus continue à promouvoir un modèle agro-industriel qui ne répond en rien aux attentes du monde paysan. Toute la colère qui nous a fait descendre dans la rue l'an dernier, c'était pour demander un revenu digne», a réagi Fanny Métrat, porte-parole de la Confédération paysanne.
Réintroduction de l'acétamipride
La mesure la plus clivante prévoit la réintroduction à titre dérogatoire et sous conditions de l'acétamipride, pesticide de la famille des néonicotinoïdes. Ce produit était interdit depuis 2018 mais autorisé en Europe jusqu'en 2033. Cette disposition était réclamée par la FNSEA et la Coordination rurale, notamment pour les producteurs de betteraves sucrières qui affirment n'avoir aucune solution pour protéger efficacement leurs cultures. Les planteurs redoutent la concurrence d'importations de sucre produit avec des pesticides interdits en France. Le texte de compromis prévoit une réintroduction «pour faire face à une menace grave compromettant la production agricole», sans limite dans le temps, mais avec une clause de revoyure «à l'issue d'une période de trois ans, puis chaque année» pour vérifier que les critères d'autorisation sont toujours remplis.
Les députés se sont aussi prononcés pour une interdiction temporaire, à la main du gouvernement, de planter des végétaux qui attirent les pollinisateurs, après l'emploi de l'acétamipride. Le retour des néonicotinoïdes, très toxiques pour les abeilles, est décrié par les défenseurs de la nature, les apiculteurs, la Confédération paysanne, mais aussi des régies publiques de l'eau et des scientifiques qui ont récemment alerté sur la «persistance» de ces substances dans l'environnement et les risques pour la santé.
Le rôle de l'Anses
Le texte prévoyait initialement la possibilité pour le gouvernement d'imposer des «priorités» dans les travaux de l'agence sanitaire, mandatée depuis 2015 pour évaluer la dangerosité des pesticides, mais aussi autoriser leur mise sur le marché. Élus de gauche comme scientifiques avaient dénoncé une atteinte à l'indépendance de l'Anses. Les parlementaires ont trouvé un compromis en évacuant largement les dispositions les plus irritantes du texte final.
Ce dernier précise que l'Agence, lorsqu'elle examine la mise sur le marché et l'utilisation de produits phytopharmaceutiques, devra tenir compte «des circonstances agronomiques, phytosanitaires, et environnementales, y compris climatiques qui prévalent sur le territoire national». Un autre article stipule que les agents de l'Office français de la biodiversité (OFB), chargé de la police de l'environnement, sont à présent équipés de «caméras individuelles» et peuvent procéder à «un enregistrement audiovisuel de leurs interventions».
Irrigation et stockage
Le texte initial visait à faciliter le stockage de l'eau pour l'irrigation des cultures, dans un contexte de raréfaction liée au dérèglement climatique. Si tous les agriculteurs sont d'accord pour dire qu'il n'y a pas d'agriculture possible sans eau, ils sont divisés sur les réserves, leur taille et leurs usages. Des associations ont mis en garde contre «l'implantation de méga-bassines», ces immenses réserves constituées en puisant dans la nappe phréatique ou les cours d'eau, «qui accaparent» les ressources en eau «au profit de l'agriculture intensive». L'article 5 prévoit une présomption d'«intérêt général majeur» pour les ouvrages de stockage, dans l'intention de faciliter les procédures pour obtenir des autorisations de construction.
Elevage intensif
L'article 3 du texte facilite l'agrandissement ou la création de bâtiments d'élevage intensif. Il permet notamment, lors de l'enquête publique, de remplacer la réunion publique par une permanence en mairie. A partir de certains seuils, les élevages sont considérés comme des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et doivent être enregistrés ou obtenir une autorisation pour les plus grands cheptels. Ces seuils étaient alignés sur la directive européenne relative aux émissions industrielles.
A la demande des filières d'élevage et de la FNSEA, le texte les aligne sur une autre directive, plus permissive. Un poulailler ne devra demander une autorisation qu'à partir de 85 000 poulets contre 40 000. Pour une porcherie, le seuil passera de 2 000 à 3 000 cochons. Mais cette mesure ne s'appliquera que fin 2026, quand les fédérations réclamaient une application immédiate. À terme, le gouvernement envisage de créer dans les prochains mois un régime d'autorisation environnementale spécifique aux élevages et les sortir ainsi du régime ICPE.


















