Propulsée au printemps 2022 à la tête d’Orange, qui publie ce mercredi 24 juillet un chiffre d’affaires de 19,8 milliards d’euros, en progression de 1,5% au premier semestre, pour un résultat net de 1,092 milliard, lui aussi en hausse de 0,4%, Christel Heydemann s’est rapidement éloignée de la lumière pour s’immerger dans son nouveau poste et faire le tour de ses équipes en France et à l’international. En deux ans, l’ex-patronne de Schneider Electric Europe a déjà imprimé sa patte sur le fleuron français, avec des choix forts (cession d’Orange Bank, arrêt d’OCS, déploiement à l’international…) et une volonté d’attirer les meilleurs et de favoriser l’éclosion des talents féminins.
Capital : Orange, partenaire officiel des Jeux olympiques. Au-delà de la belle opération de com, qu’en attendez-vous ?
Christel Heydemann : Ce n’est pas du simple sponsoring, mais un vrai partenariat technologique, qui mobilise un millier de nos collaborateurs pour connecter les caméras, le public, les stades ou encore capter des images en 5G lors de la cérémonie d’ouverture. Nous attendons aussi avec impatience le Marathon pour tous, dont nous sommes le parrain officiel. Proposer au public de participer à cette épreuve mythique sur le même parcours que les athlètes, c’est une première dans l’histoire des Jeux. Beaucoup de collaborateurs d’Orange seront d’ailleurs sur la ligne de départ.
Serez-vous également sur cette ligne de départ ?
Il m’est arrivé de disputer des semi-marathons, mais cette fois je me contenterai de courir le 10 kilomètres. Dans ma jeunesse, je pratiquais beaucoup la danse, la course à pied est venue plus tard. Quand, comme moi, vous devez faire des déplacements réguliers en France et à l’étranger, la course est le sport idéal : des baskets dans une valise et hop, c’est parti ! Mais je ne recherche pas la performance, c’est avant tout pour me vider la tête pendant une heure le samedi matin. C’est important pour mon équilibre.
L’équilibre vie pro-vie perso est d’ailleurs un sujet sur lequel vous avez remis un rapport au gouvernement.
Au printemps 2021, en plein Covid, on m’a en effet demandé de plancher sur la question avec Julien Damon (sociologue et prof à Sciences po, NDLR), qui en connaît mieux que moi les enjeux sociétaux. On m’a notamment sollicité pour mon expérience personnelle : mes enfants sont encore petits et j’ai eu mon dernier alors que j'étais PDG de Schneider Electric France. En tant que dirigeant, on doit se préoccuper de ces sujets-là, mais, quand on l'a vécue soi-même, on mesure la galère de l'organisation pour les parents des enfants en bas âge, trouver une crèche, une nounou….
J’ai insisté dans mes recommandations pour que les femmes qui veulent reprendre leur travail rapidement soient accompagnées. Et surtout qu’on ne les juge pas. Ce n’est pas le cas en France, mais, dans certains environnements, c’est encore mal perçu.
Votre arrivée à la tête d’Orange a été extrêmement médiatisée, notamment parce que vous êtes une des rares femmes à la tête d’une entreprise du CAC 40. Pensez-vous avoir désormais un rôle de modèle ?
Il faut relativiser : Orange est une entreprise tellement emblématique que cette nomination aurait créé du bruit médiatique même si cela avait été un homme. Maintenant, sur mon rôle de «modèle», je pense que c’était déjà le cas lorsque je dirigeais Schneider Electric France, dans un univers industriel très masculin. J’ai l’impression que les choses bougent, même si cela progresse trop lentement. Je rencontre de plus en plus de femmes à des postes de direction, dans les comex, les conseils d’administration…
Comment favorisez-vous l’égalité professionnelle chez Orange ?
D’abord, en cherchant à attirer plus de femmes dans nos métiers technologiques. Chez Orange, elles ne représentent qu’environ 22% des effectifs, c’est une part que nous voudrions faire passer à 25% d’ici l’an prochain. Ensuite, nous cherchons aussi à augmenter leur proportion parmi nos cadres dirigeants, dans notre top 1000. Nous en sommes à 34%, nous visons 35% d’ici 2025. Cela passe notamment par des programmes de développement du leadership, dont bénéficient plusieurs centaines de nos collaboratrices. Mais la finalité de tout ça, ce n’est pas tant de fixer des quotas que d’attirer les talents, en donnant envie aux meilleur(e)s de nous rejoindre.
Y parvenez-vous ?
Cette année, notre Orange Graduate Programme, destiné aux bacs+5, a reçu deux fois plus de candidatures que l’an dernier. Ce dispositif propose aux jeunes diplômés que nous sélectionnons de prendre immédiatement un poste à responsabilité, avec un accompagnement sur mesure. J’y vois le signe d’une image dynamique auprès des jeunes.
Vous avez décidé d’augmenter les tarifs sur les forfaits mobiles et les box. Etait-ce vraiment justifié ?
Comme certains de nos concurrents, nous avons été contraints de relever les prix l’année dernière dans un contexte très spécifique d'inflation, notamment des coûts de l'énergie. Notez toutefois que ces augmentations tarifaires n’ont compensé qu’aux deux tiers les hausses de coûts que nous avons subis. Nous avons par ailleurs tenu compte des tensions sur le pouvoir d’achat dans certains foyers, en proposant une offre Coup de pouce Internet, réservée aux bénéficiaires de minima sociaux. Celle-ci porte sur un abonnement haut débit via fibre optique, sans engagement et à un prix bloqué à 16 euros.
La fermeture d’OCS et d’Orange Bank porte-t-elle un coup d’arrêt à votre diversification ?
Pas du tout. Nous restons par exemple très présents dans la cybersécurité, et je pourrais aussi vous parler de nos offres dans la sécurité à domicile, avec nos systèmes de télésurveillance Orange Maison protégée qui marchent très bien. Mais il faut aussi parfois savoir reconnaître un échec. En 2016, quand on a lancé Orange Bank, tout le monde pensait que les banques digitales allaient étouffer les banques traditionnelles. Or les banques traditionnelles ont réagi vite, plus vite que ce qui était attendu, et ont construit une offre digitale de grande qualité.
Les clients bancaires sont donc restés fidèles à leur banque traditionnelle. La banque, c’est un métier de coûts fixes : quand on ne peut pas atteindre la taille critique, il vaut mieux renoncer. OCS n’a pas non plus trouvé son modèle économique. Nous avons vocation à être distributeurs de contenus, à travailler avec toutes les plateformes, mais pas forcément à avoir nos contenus en propre.
Côté innovation, on a pourtant l’impression que vous êtes un peu à la traîne. Orange a-t-il encore la capacité d’inventer ?
Bien sûr ! Orange a une véritable force d’innovation. Certes, je perçois parfois une certaine frustration au sein de nos équipes, qui évoquent souvent la grande époque du Cnet, les anciens laboratoires de France Télécom, au moment du développement du Minitel. Mais Orange est une entreprise de services, pas de matériel. L’innovation est continue et souvent invisible, mais toujours utile pour nos clients. Nous pouvons être fiers d’avoir, par exemple, contribué aux plus grands standards de communication, dont la 4G, puis la 5G.
Nos chercheurs phosphorent par ailleurs sur les technologies quantiques pour mettre au point les communications du futur, sur l’efficacité énergétique de nos antennes radio ou encore sur l’intelligence artificielle. Côté grand public, nous avons développé l’application Orange Téléphone, qui permet d’identifier les appels malveillants ou de démarchage publicitaire sans avoir à décrocher. C’est aussi ça l’innovation utile.
Avec 137 000 salariés dont 73 000 en France, le paquebot Orange semble néanmoins bien moins agile que Free ou Bouygues, aux effectifs nettement plus restreints.
Nous ne nous comparons pas à Bouygues ou à Free, qui n’ont pas notre empreinte internationale ni un modèle d’affaires B to B (activités visant une clientèle d’entreprises) très développé, mais aux grands acteurs mondiaux des télécoms. Beaucoup envient notre puissance de feu et notre ancrage territorial. En France, en Europe, en Afrique, Orange est là. Vous évoquez l’image d’un paquebot, je préfère celle du banc de poissons, tout aussi massif, mais plus vif et capable d’opérer rapidement des virages. Si la France est aujourd'hui le champion européen de la fibre, c'est largement grâce à l'effort industriel d'Orange. Sans nos salariés – leur nombre comme leurs compétences –, cela n'aurait pas été possible.
Quel bilan justement tirez-vous du déploiement de la fibre ?
Là, nous sommes pile dans notre cœur de métier et un pionnier du domaine, depuis plus de dix ans. En Europe, nous revendiquons plus de prises fibre déployées que Deutsche Telekom, Vodafone, Telecom Italia et British Telecom réunis ! Pour le coup, Orange a fait le bon pari, à la différence d’autres opérateurs, qui sont arrivés très tard.
Comment comptez-vous relancer Orange Business, votre division dédiée aux entreprises et ex-«vache à lait» du groupe ?
Le fait est qu’il n'y a plus de téléphones fixes sur nos bureaux, et que les outils de visioconférence ont radicalement changé le marché. Nous devons projeter Orange Business dans l’avenir et repositionner nos offres sur la cybersécurité, le cloud, les applications collaboratives, tout en continuant à proposer les meilleures solutions de connectivité. C'est intense comme transformation, et nous sommes sur la bonne voie.
Quelles sont vos ambitions à l’international ?
Nous venons de créer une coentreprise avec MasMovil en Espagne, pour devenir le premier opérateur sur ce marché. L’Afrique est aussi un continent très important car c’est un territoire en forte croissance, notamment sur le paiement mobile. Notre application Max it – une sorte de portail mobile qui intègre à la fois une offre de contenus, des services de gestion de ligne et des solutions de paiement mobile – est un succès. Depuis son lancement en novembre, cette appli a été téléchargée plus de 10 millions de fois.
Côté management, vous avez la réputation d’être très cash. Cela donne quoi au quotidien ?
Aux Etats-Unis, il y a quelques années, mon ex-patron d’Alcatel m’avait dit un jour : au fond, tu n’es pas si française. Il estimait que les dirigeants français perdaient trop de temps à arrondir les angles, à abuser des discours politiquement corrects. Mais si vous sous-entendez par «cash» que j’aurais un côté cassant ou méprisant, cela ne me correspond pas du tout. Ce serait d’ailleurs contre-productif! Mon job, comme pour tout CEO ou manager, c’est justement de mettre mes collaborateurs en situation de donner le meilleur d’eux-mêmes, en leur donnant confiance. En revanche, je reconnais que je déteste perdre mon temps. Si, lors d’une réunion, un manager se lance dans un grand discours sur un sujet sans dire franchement les choses, je l’invite à être plus direct. Mais là encore, la manière compte beaucoup et j’y veille !
Qu’est-ce qui vous a le plus marquée durant vos expériences à l’étranger ?
Je suis diplômée de l’Ecole polytechnique, un symbole de l’élite française… que beaucoup ne connaissent pas aux Etats-Unis. Et c’est très bien pour l’ego ! Plus largement, à l’international où j’ai fait une partie de ma carrière, ce ne sont pas les diplômes qui comptent, c'est le savoir-faire, le savoir-être, la capacité à faire progresser ses équipes. Et je trouve ça très sain.
Celui qui a changé le cours de votre carrière ?
Je pense à Ben Verwaayen, l’ex-patron d’Alcatel-Lucent. Je dirigeais les équipes commerciales en France quand il m’a appelé un matin dans son bureau pour m’envoyer dans la Silicon Valley afin de piloter un projet de développement avec Hewlett-Packard. Il m’a dit : tu pars dans deux mois. Quelques années plus tard, c’est lui encore qui m’a proposé le poste de DRH. J’ai passé une nuit blanche à réfléchir, avant finalement d’accepter. Avec Jean-Pascal Tricoire, le PDG de Schneider Electric, qui m’a embauchée par la suite, ce sont sans doute les deux patrons qui m’ont le plus marquée. J’ai aussi travaillé avec beaucoup de managers qui m’ont appris énormément, y compris parfois dans le sens où je me suis dit : «Voilà exactement ce que je ne veux pas être.» Mais ne comptez pas sur moi pour vous donner des noms !
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