
Le président de la FNAIM aime surprendre son auditoire et il demande volontiers qui a rendu populaire le slogan «Une France de propriétaires»… Eh bien non, le premier n’a pas été Nicolas Sarkozy, Président de la République, mais Valéry Giscard d’Estaing, dans les mêmes fonctions, après son élection en 1974. En clair, cette envie politique que tous les Français soient propriétaires du logement qu’ils occupent (car il s’agit bien de résidence principale derrière ce slogan) n’est pas d’aujourd’hui et elle a la vie dure.
La question consiste à savoir si cette volonté est aussi opportune en 2025 qu’elle l’était en 2007 ou en 1974. On se souviendra d’ailleurs que même en 2007, la ministre du logement de Nicolas Sarkozy l’avait d’emblée nuancée, estimant sans doute que la barre était placée un peu haut, et avait fini par évoquer une toise à 70% -si la mémoire de l’auteur est fidèle. Pourquoi cette nuance à l’époque ? Deux raisons : une crise sans précédent, celle des subprimes, faisait sentir ses ondes de choc jusqu’en France et les banques ne prêtaient plus guère sans suspicion, face à des prix devenus très élevés ; ensuite, la France a cette particularité d’avoir bâti une politique du logement fondée sur un triptyque, avec un parc locatif social, un parc locatif privé et un parc de propriétaires occupants. Les trois solutions pour se loger sont à la disposition des ménages. Dans ce contexte, on voit mal comment une seule solution rallierait tous les suffrages.
Moins de propriétaires en France : une première depuis 30 ans
Un certain équilibre s’est créé chez nous, que d’autres nous envient : il est gage de souplesse, un ménage pouvant de façon réversible choisir un statut à un moment, un autre à un moment différent, et il constitue en outre un amortisseur économique et social remarquable : le statut de locataire du privé rime incontestablement mieux avec mobilité pour le travail ou les études que celui de propriétaire, celui de locataire HLM convient à un ménage encore trop fragile pour aspirer au parc locatif privé ou à l’accession à la propriété. Ainsi, la France permet ce qu’on appelait un parcours résidentiel ascensionnel… mais autorisant aussi les revers de fortune. Une caricature, l’Albanie : ce pays détient le record mondial du taux de propriétaires, avec 90% des ménages qui détiennent leur logement… Normal puisqu’il n’y a pas là bas de parc locatif ou quasiment pas. La France du logement veut-elle être l’Albanie? Elle est plutôt fière d’offrir plusieurs voies complémentaires. Cette stratégie de diversification, voulue dès l’après-guerre, même si son dosage a pu varier selon la sensibilité des gouvernements, n’a jamais été remise en question par aucun.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Peut-on imaginer faire monter le taux de propriétaires occupants ? Ce taux, pour la première fois depuis trente ans, a baissé, passant de 58% à 57% en quelques années. L’inflexion de la courbe n’est pas sans conséquence : elle charge la demande déjà très lourde de locations. Sauf que ce n’est pas sans raison, et que la France de propriétaires, ou même seulement un redressement du taux actuel reste illusoire dans notre contexte. Des taux d’intérêt qui ne permettent pas à beaucoup de ménages de basculer vers l’acquisition (c’est sans doute un quart ou un tiers des ménages, notamment jeunes, qui pouvaient acheter avec des taux à 1% et ne le peuvent plus avec des taux à 3%), une ambiance économique interne dégradée et sans perspective proche de rétablissement, un contexte géopolitique anxiogène, une courbe du chômage qui s’inverse et un besoin de grande mobilité indispensable pour trouver un emploi et d’abord se former, mais aussi des tendances sociologiques lourdes avec des séparations de couples qui se multiplient, des recompositions familiales et un nombre préoccupants de personnes seules, notamment âgées.
Renforcer l'offre locative et l'investissement immobilier
En somme, c’est le maillon de l’offre locative qui doit être renforcé et qui correspond le mieux au moment, et pour plusieurs années probablement. Il conduit bien à accroître le taux de propriétaires, mais par l’investissement. Pour le reste, l’objectif, s’il est plus lointain, doit être sanctuarisé : la déroute de notre système de retraite par répartition, à laquelle notre classe politique se refuse de remédier, dicte que le plus possible de ménages aient acquis leur logement au moment de la cessation d’activité, pour que leurs charges mensuelles en soient allégées et que leur train de vie n’en soit pas affecté. L’investissement locatif, dans l’idéal, vient conforter les éventuels revenus de la retraite si le ménage a pu consolider ainsi son patrimoine.
Les slogans politiques sont précieux. Ils ancrent dans les esprits des caps à tenir. Néanmoins, les circonstances conduisent à la plasticité et il faut se méfier de ce que l’on pourrait nommer l’ivresse du slogan. Le pragmatisme impose de composer non pas avec les caps, mais avec les chemins et la temporalité pour tenir le cap. Les plus grands marins naviguent ainsi.



















