La fuite provient de Digital Chat Station, un "leaker" réputé sur le réseau social chinois Weibo : Apple testerait actuellement un capteur photo 200 mégapixels en vue d'équiper prochainement ses iPhones. Si la marque à la pomme a jusqu'ici résisté à cette folle course aux mégapixels lancée par Samsung et d'autres fabricants Android, elle semble désormais prête à céder aux sirènes du marketing technologique. Car le meilleur photophone du moment n’est pas le S25 Ultra et son module principal de 200 Mpx, mais un modèle doté d’un capteur bien plus raisonnable en nombre de pixels. Et ce n’est pas un hasard.

Plus de mégapixels, est-ce bien utile ?

La promesse d'une telle taille d’image est en apparence séduisante : des clichés ultra détaillés, la possibilité de recadrer ses images sans perte notable de qualité, voire même d'offrir un zoom numérique performant, capable de remplacer certains modules téléobjectifs dédiés. Samsung, pionnier du genre avec ses capteurs Isocell HP2 et HP3, vante ainsi jusqu'à quatre fois de zoom numérique sans perte de définition. Les Galaxy S de Samsung sont certes d'excellents smartphones, très bons en photo, mais la réalité est toutefois plus complexe.

© Samsung

En vérité, au-delà d'une certaine définition, à savoir une douzaine de mégapixels, les bénéfices réels pour le consommateur moyen deviennent marginaux. D’autant que la définition 4K de nos écrans comptabilise à peine… 8 Mpx, et c’est bien suffisant jusqu’à au moins 65/75 pouces de diagonale. Évidemment, il est utile de conserver une marge de recadrage, donc monter à 12, voire même 24 Mpx reste pertinent. Mais 200… En outre, la majorité des utilisateurs affichent leurs photos sur des écrans de taille moyenne ou partagent leurs clichés sur les réseaux sociaux, où les images sont affichées en définitions souvent bien inférieures. À titre d’exemple, Instagram permet de monter à seulement 2 Mpx maximum. Ainsi, ceux qui ont besoin d'imprimer en grand format restent une minorité absolue, ce qui pose la question de l'utilité réelle d'un tel capteur dans un appareil grand public.

Des pixels plus petits, des photos moins bonnes

La densification extrême des capteurs a une conséquence directe : la réduction de la taille des pixels et surtout des cellules photosensibles associées, les photosites. Or, plus un photosite est petit, moins il capte de lumière. Résultat ? Une dégradation notable des performances dès que l’on manque un peu de lumière (et ça arrive plus vite que vous ne le croyez), avec une hausse du bruit numérique et donc une perte de détails. Les smartphones compensent cela par des traitements d’image avancés et poussés à l’extrême pour réduire ce bruit et recréer une impression de netteté, mais cela donne des clichés lissés, sans détails et aux contours parfois sur-contrastés artificiellement, une sorte d’aquarelle mal réalisée. Les téléphones équipés de capteurs ultra haute définition doivent également recourir à des artifices techniques, comme le "pixel binning", autrement dit la combinaison de plusieurs pixels en un seul. Pour son S25 Ultra par exemple, Samsung regroupe pas moins de 16 pixels en un, afin de compenser partiellement ces défauts. Mais ces solutions ne sont pas sans inconvénients.

Illustration d'une matrice de Bayer, utilisée au sein des capteurs photo des smartphones.
Illustration d'une matrice de Bayer, utilisée au sein des capteurs photo des smartphones. © Wikimedia

Parmi ceux-ci, on trouve la lenteur de prise de vue, autrement appelée "shutter lag". Les propriétaires de smartphones Samsung Ultra en font régulièrement l'expérience : photographier des sujets en mouvement rapide devient vite une tâche frustrante lorsque l'appareil met du temps à traiter la montagne de données issue d'un capteur de 200 mégapixels. Et puis, la qualité d’image n’est tout simplement pas aussi bonne en 12 Mpx avec pixel binning qu’en 12 Mpx natifs, sans pixel binning, ou même qu’en 12 Mpx avec un binning léger. Les couleurs peuvent être altérées, on perd en détail et en netteté, le traitement peut générer des artefacts… C’est ce que l’on constate régulièrement au labo Capital quand on compare des smartphones dotés de capteurs plus ou moins riches en pixels sur notre scène de test.

Sur ces clichés pris dans notre laboratoire avec la lumière de nos lampes au minimum, on voit clairement que le niveau de netteté et la richesse des couleurs sont supérieurs du côté du Xiaomi 15 Ultra, alors même que son capteur possède moins de pixels.

La course folle ne profite pas aux utilisateurs

Si Apple suit réellement Samsung sur ce terrain, il risque de tomber dans les mêmes pièges, avec des chiffres certes impressionnants sur le papier, mais des appareils photo décevants en basse lumière (le nerf de la guerre, pour rappel). Ironiquement, Apple a jusqu'à présent privilégié une approche inverse, misant sur des capteurs à définition modérée mais à grande taille de pixels, couplés à des traitements logiciels sophistiqués, produisant ainsi des rendus souvent plus convaincants que ceux des concurrents affichant fièrement des définitions délirantes.

Plutôt que de courir après un chiffre marketing qui impressionnera certes sur les publicités mais pas forcément dans la réalité, Apple ferait mieux de maintenir son approche raisonnée : des capteurs lumineux, équilibrés, capables d'offrir une véritable qualité d'image et une réactivité photographique optimale. On pourrait même imaginer aller plus loin et diviser par deux les 48 Mpx du capteur principal de l’iPhone, afin d’augmenter encore la taille des photosites. Cela allégerait les traitements d’image nécessaires et produirait des clichés plus naturels, avec moins de rustines numériques.

Avant les constructeurs de téléphones, les fabricants d’appareils photo ont aussi eu leur course aux mégapixels et ils en sont revenus. Pourquoi pas les smartphones ?