
Qui sont les membres du clan Peugeot ? Dans le premier épisode de notre enquête, nous vous présentons cette dynastie industrielle qui pèse 4 milliards d'euros avec sa holding Etablissements Peugeot Frères (EPF). Son actif le plus célèbre : une participation de 7,7% dans Stellantis, le groupe aux 14 marques de voitures qui vient de changer de patron, sur fond de mauvais résultats. Un trésor que la famille tente de protéger en pleine tempête dans le secteur automobile.
Mai 2025. Le jour même de sa nomination à la tête de Stellantis, Antonio Filosa honore une vieille tradition en visitant l’usine de Sochaux et le musée local dédié à l’aventure Peugeot. Une façon de caresser le lion dans le sens du poil ? Tout dans ce pays de Montbéliard rappelle l’histoire de la famille. «C’est un phare dans la nuit. Un ancrage quand on se perd», évoque Romain Peugeot, membre de la neuvième génération de la famille. Les rivières sont bordées de vestiges d’usines. Les maisons ouvrières bâties par le clan sont toujours habitées. À Hérimoncourt, une pierre gravée au bord d’un étang rappelle l’événement fondateur de la dynastie : la reconversion d’un moulin en fonderie d’acier par les frères Peugeot en 1810. «Ici, s’il n’y avait pas eu Peugeot, ce serait la France profonde», témoigne Valère Nedey, un concessionnaire de la région.
Chez Stellantis, c'est la fin de l'ère Carlos Tavares
L’arrivée d’Antonio Filosa sonne la fin de l’ère Carlos Tavares, l’homme resté dix ans à la tête de PSA puis de Stellantis. Jusqu’aux résultats calamiteux de 2024 qui ont accéléré sa chute : le bénéfice net du constructeur s’est effondré de 70%, plombant le cours de Peugeot Invest au passage. Les fournisseurs, les concessionnaires et les syndicats pestaient contre son intransigeance. «La décision du conseil ne repose ni sur des impressions ni sur des bruits de fond, mais bien sur des faits», clarifie Robert Peugeot, vice-président de Stellantis. Sur ce «psychopathe de la performance», qui a tout de même redressé PSA, les Peugeot n’osent aucune critique acerbe. Quand bien même son règne a signifié moults renoncements. «Tout le jeu de Carlos Tavares a été d’amoindrir l’influence des Peugeot», analyse l’économiste Bernard Jullien.
Il y a eu l’abandon du siège au 75 avenue de la Grande Armée à Paris, où une seule porte séparait la famille Peugeot du bureau du directeur général. La vente de Peugeot Motocycles, activité historique avec son usine de Mandeure (Doubs). La vente du FC Sochaux, qui laissera le club de foot au bord de la faillite en 2023. Plusieurs membres de la famille nous révèlent avoir apporté un soutien financier au club quand Carlos Tavares ignorait les appels à l’aide des supporters. «Le club est en nationale 1 et tente de se restructurer pour éventuellement retourner en ligue 2. Cela se passe plutôt bien», commente Romain Peugeot, qui a participé au tour de table.
Après l’éviction de Carlos Tavares, les premiers pas d’Antonio Filosa sont observés de près. «Sa personnalité et son expérience sont de nature à redonner un élan au groupe et à fédérer les troupes», encourage Edouard Peugeot, nouveau président de Peugeot Invest. Accessoirement, le patron pourra compter sur plusieurs membres de la famille. Quelques mois avant son arrivée, Charles Peugeot de la G9 a été nommé directeur général d’Opel France, et Xavier Peugeot de la G8 directeur général de DS Automobiles, en plus d’être patron du patrimoine pour Stellantis.
Les deux ont accepté des missions ardues. Pour le premier, il va s’agir de défendre une marque allemande en perte de vitesse. «Il faut redoubler d’efforts pour montrer qu’on n’est pas là par hasard. Mon premier objectif est de démontrer de l’impact sur la part de marché d’Opel en France», projette Charles Peugeot. «Avec mon nom, il y a une obligation de résultat encore plus grande», réalise de son côté Xavier Peugeot, en nous accueillant dans une concession DS, juste à côté de l’usine de Sochaux. Face aux interrogations sur la pérennité de la marque DS, Xavier Peugeot rappelle qu’elle a toujours été rentable. «Le premium en Europe, c’est 25% des volumes et 40% des revenus. C’est très important d’avoir une marque dans ce segment.»
Quand le clan Peugeot se déchirait sur son trésor automobile
Le marché automobile va mal, ce qui soulève des interrogations sur les intentions de la famille. En 2014, le clan s’était déchiré sur la recapitalisation de PSA. «Il n’y avait plus assez de cash chez Peugeot, l’entreprise était à l’agonie», retrace Pierre Moscovici, le ministre de l’Economie de l’époque. La solution a consisté à faire monter au capital l’Etat français et le groupe chinois Dongfeng, chacun à hauteur de 14%. Les Peugeot de leur côté, ont accepté de perdre le contrôle en descendant leur part de 25% à 14%. Surnommé le «menhir», Thierry Peugeot, vice-président du conseil de surveillance de PSA, s’était indigné d’un désengagement de la famille face à Robert Peugeot qui soutenait l’opération. «Thierry, c’est l’affectif, attaché au caractère familial de l’entreprise, à ses racines dans le pays de Montbéliard. Robert, est plus financier, sa logique est avant tout capitalistique. Le second l’a clairement emporté», résume Pierre Moscovici.
Marie-Hélène Roncoroni, administratrice d'EPF, préfère relativiser cet affrontement chroniqué comme une tragédie grecque : «Il peut y avoir des tensions vives mais on finit toujours par se réconcilier. A chaque grande décision, les votes ont été unanimes.» Aujourd’hui, Stellantis est détenu à 15,52% par Exor, le holding de la dynastie Agnelli, qui a placé John Elkann à la présidence du groupe. «Chez les Elkann et les Peugeot, le risque est que l’exigence de profitabilité prime sur les considérations industrielles», pointe Bernard Jullien.
Qui prendra la place de Robert Peugeot chez Stellantis ?
De là à ce que la famille Peugeot prenne ses distances avec l’automobile ? «La famille n’a pas l’intention de réduire sa participation dans Stellantis», confie une source proche de la famille. «Cet attachement viscéral à nos racines fait que notre participation dans Stellantis ne peut pas être une participation comme les autres, et n’est pas non plus incompatible avec une diversification», plaide Xavier Peugeot, patron de DS Automobiles. A terme, il se murmure tout de même qu’il pourrait y avoir des rééquilibrages entre EPF et Peugeot Invest qui se partagent aujourd’hui Peugeot 1810, la filiale où est logée la participation dans Stellantis.

Une autre question va se poser rapidement : qui prendra le siège de Robert Peugeot au conseil d’administration de Stellantis quand son mandat arrivera à son terme, en 2026 ? Xavier Peugeot ne semble pas fermé à l’idée : «J’ai 31 ans d’expérience dans le groupe. Si un jour elle peut servir autrement, pourquoi pas. Mais ma première priorité demeure que DS fonctionne bien.» Reste que le principal intéressé, Robert Peugeot, n’est peut-être pas encore prêt à quitter l’entreprise qu’il arpente depuis une cinquantaine d’années. «Il est tout à fait possible que je refasse un mandat. Il est possible que ce soit quelqu'un d’autre», nous déclare-t-il. Un signe que la G8 n’abandonne pas les affaires. Le processus de décision au sein de la famille doit débuter à l’automne 2025.
Coups de griffes à l'assemblée générale de Peugeot Invest
Six mois plus tôt, le 20 mai 2025, Robert Peugeot préside sa dernière assemblée générale chez Peugeot Invest. Sous son impulsion, la société est passée de 225 millions d’euros d’actifs hors-automobile en 2002 à 3 milliards d’euros fin 2024. Mais ce jour-là, les actionnaires étrangers à la famille rappellent aussi ses erreurs : 272 millions d’euros de pertes nettes sur le groupe immobilier Signa et 22 millions d’euros sur les maisons de retraite d’Orpea en 2023. Sans oublier plusieurs dizaines de millions d’euros investis dans Ynsect, une start-up française spécialisée dans l'élevage d'insectes, actuellement en redressement judiciaire.
«Pourquoi vous embêter à trouver plein d’idées d’investissement quand vous pourriez investir dans Berkshire Hathaway ?», interroge un actionnaire, dans une comparaison piquante avec la célèbre holding de Warren Buffet. La démocratie actionnariale en action ! C’est ce public insolent auquel va devoir se frotter Edouard Peugeot, successeur de son père à la présidence de Peugeot Invest depuis mai.
Quelques sièges plus loin, un gérant de Moneta AM, Grégoire Uettwiller, fulmine contre «la redevance de marque» : une somme de 631 997 euros pour 2024, versés par Peugeot Invest à EPF pour l’utilisation du nom Peugeot. «On parle de montants raisonnables. Il faut accepter que le nom Peugeot ouvre des portes pour Peugeot Invest et que cela apporte une valeur», parlemente devant nous Edouard Peugeot. Le quadragénaire va aussi devoir faire oublier les échecs passés. «Ils sont liés à des choix dans des secteurs que nous connaissions mal. Ou à des géographies trop éloignées dans lesquelles nous n’avions pas de véritable réseau», analyse-t-il.
Peugeot, du potentiel pour devenir une marque populaire ?
Du côté de Peugeot Frères Industrie, une autre antenne de la holding familiale, les acquisitions se sont multipliées, avec le rachat de Monbento en 2018, de l’équipementier sportif Julbo en 2022, puis de Lafuma Mobilier en 2024. «Nous ne nous interdisons pas d’atteindre 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires dans dix ans, contre 270 millions d’euros aujourd’hui», projette Christian Peugeot, 72 ans, président de Peugeot Frères Industrie. Son bras droit, Thibault Martin-Dondoz, croit dur comme fer au caractère populaire de la marque Peugeot, «dans le meilleur sens du terme». Après les valises et les plats en céramique siglés Peugeot, le dirigeant réfléchit aux prochains terrains de jeu. «Pourquoi pas un barbecue Peugeot ?»
Il invoque l’esprit d’Armand Peugeot, qui avait prédit que sa famille deviendrait «l’une des plus grandes affaires industrielles de France», si ses membres se montraient «assez hardis et habiles». «Développer la marque sur différents métiers, en investissant dans des usines européennes, il y a de la hardiesse !», s’enthousiasme le directeur général de PFI. Avec son activité de capital-risque, 1st Kind, le holding familial nourrit un autre rêve : accompagner le projet d’un membre de la famille du stade de la start-up jusqu’à la grande entreprise. Vastes projets. «Huit générations avant nous ont fait le travail. Il n’y a pas de raison que nous ne le fassions pas nous-mêmes», se motive Edouard Peugeot. C’est qu’il y a déjà une dixième génération d’enfants à nourrir.
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