«Quelques dizaines d’euros pour prendre des vacances aux frais de la collectivité.» C’est en ces termes que Marc Scholler, directeur délégué de l’audit, des finances et de la lutte contre la fraude à la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), résume les arrêts de travail frauduleux. Lors de la présentation à la presse de la lutte contre les fraudes à l’Assurance maladie ce jeudi 20 mars, le ton a été donné : la fraude à la Sécu coûte cher, notamment celle des assurés. L’année dernière, la Cnam a ainsi détecté et stoppé 109 millions d’euros de préjudice. «Avec une augmentation significative sur les fraudes aux arrêts de travail, [...] même si les faux ne constituent qu’une minorité (parmi tous les arrêts de travail délivrés, NDLR)», souligne Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam. Plus exactement,, près de 40% (38,5%) de ces montants concernent uniquement les faux arrêts maladie, pour lesquels la Cnam a évité le versement indu de 42 millions d’euros d’indemnités journalières en 2024. Soit 2,4 fois plus qu’il y a deux ans.

Il faut dire qu’obtenir un faux arrêt maladie est devenu de plus en plus simple. La cause ? «Des réseaux criminels, qui opèrent principalement sur les réseaux sociaux», alerte Marc Scholler. Snapchat, Telegram… Ces plateformes sont devenues le terrain de jeu privilégié de ces trafiquants d’un genre nouveau. Ils vous promettent arrêt maladie qui ressemble à s’y méprendre à un vrai, contre quelques dizaines d’euros. Comptez entre 20 et 70 euros selon la durée de l’arrêt et… la remise de vos données personnelles, numéro de Sécu inclus. Un business d’une telle ampleur que le gouvernement s’en était emparé dès 2023. Pour contrer cette fraude massive, Gabriel Attal avait alors annoncé la création d’une cyber-brigade spécialisée dans la détection de ces faux arrêts maladie.

L’arrêt de travail en ligne «reste le vecteur le plus sécurisé»

Pour freiner cette envolée, Marc Scholler, directeur général de la Cnam, mise également sur deux grands piliers. D’abord, renforcer l’utilisation de l’arrêt de travail en ligne, qui «reste le vecteur le plus sécurisé car beaucoup plus difficilement falsifiable», explique le directeur de la lutte anti-fraude de la Cnam. Concrètement, plus besoin de remettre soi-même son arrêt maladie à la Sécurité sociale : c’est désormais le médecin qui le télétransmet directement à l’Assurance maladie, de manière cryptée. Moins de manipulation papier, c’est moins de risques de fraude. Problème : cette transmission électronique n’est pas obligatoire. Aujourd’hui, 8 arrêts sur 10 passent bien par ce canal, mais «il reste encore 20% de papier, qui correspond à d’autres cas qui justifient le maintien d’un arrêt de travail papier», comme par exemple les travailleurs éloignés du numérique, précise Marc Scholler.

Si l’arrêt de travail électronique est le plus sécurisé, est-il pour autant plus facile de frauder avec un arrêt papier ? Pas vraiment. Depuis septembre dernier, un nouveau Cerfa sécurisé remplace progressivement l’ancien modèle des arrêts maladie, dont l’usage sera proscrit à compter du mois de juin. «A la manière d’un billet de banque, une étiquette holographique et des bandes orange fluo permettent de le rendre nettement plus difficile à reproduire», explique Marc Scholler. Deux avantages à cela, selon la Cnam. D’une part, il limiterait les risques d’usurpation d’identité des professionnels de santé, un stratagème parfois utilisé par les fraudeurs. D’autre part, il faciliterait l’automatisation des contrôles, puisque des dispositifs spécifiques permettent désormais de détecter plus rapidement les documents falsifiés. De quoi décourager les copycats pour de bon ? Difficile à dire. Interrogé par Capital, Thomas Fatôme concède qu’«il est encore trop tôt pour en mesurer l’efficacité», tout en se montrant confiant sur l’impact de ce nouveau Cerfa.

Autre levier mobilisé par la Cnam pour lutter contre les arrêts maladie frauduleux, qui n’est cette fois-ci pas une nouveauté : «La poursuite du plan d’action sur le renforcement contre la fraude aux arrêts, mis en place depuis le mois de septembre», rappelle Marc Scholler. La Cnam avait à l’époque prévu de contrôler les 30 000 à 40 000 assurés ayant un arrêt de plus de 18 mois, tout en surveillant de près les entreprises de plus de 200 salariés affichant un fort niveau d’absentéisme. Un plan ambitieux, donc, «qui a produit des effets», selon Thomas Fatôme. Car concernant les faux arrêts de travail, «ce sont ainsi 30 millions d’euros de préjudices qui ont été détectés et stoppés, dont 60% avant le versement des IJ [indemnités journalières, NDLR]», chiffre ce dernier, tout en reconnaissant que «cela veut aussi dire que 4 arrêts maladie sur 10 ne sont pas détectés en amont du versement». Un ratio que l’Assurance maladie entend bien améliorer, notamment en musclant ses effectifs, déjà forts de 1 600 agents spécialisés dans la détection des fraudes. «La Cnam n’abandonne pas», a martelé Thomas Fatôme.