Pour rester à la pointe de l’innovation et ne pas se laisser distancer par ses concurrents hexagonaux et étrangers, le géant français des télécoms doit en permanence former ses salariés. Entre digital learning, sessions en présentiel, formations courtes ou programmes plus longs et diplômants, Orange investit massivement dans la formation continue de ses salariés. Interview de Vincent Lecerf, Directeur Exécutif en charge des Ressources Humaines d'Orange sur la formation tout au long de la vie professionnelle des collaborateurs du groupe.
Capital : A combien s’élève le budget formation continue du groupe Orange ?
Vincent Lecerf : Nous croyons en l’importance de la formation continue et c’est un élément fort de notre approche collective. Nous consacrons chaque année environ 5% de la masse salariale à la formation continue de nos 75 000 collaborateurs français. Un budget stable. Chez Orange, la formation continue présente deux caractéristiques. Nos technologies évoluent très vite. Nous devons former nos salariés afin qu’ils maîtrisent au mieux ces nouvelles techniques. Cet «upskilling» représente 50% des formations. Et puis, l’autre enjeu est le «reskilling».
Qu’entendez-vous par «reskilling ?
Les salariés d’Orange sont très attachés à l’entreprise. L’ancienneté moyenne est de 20 ans et l’âge moyen des collaborateurs s’élève à 49 ans. Nous devons donc investir massivement pour leur permettre de constamment évoluer vers de nouveaux métiers. Pour certains salariés, cela implique de changer complètement de filière.
Un exemple ?
Un manager d’un service technique s’est par exemple reconverti en interne pour devenir un spécialiste de la cybersécurité. Pour cela, il a été accompagné dans sa formation et sa prise de poste.
Garantissez-vous un poste en sortie de «reskilling » aux salariés engagés dans ce type de démarche ?
C’est aussi notre rôle. Ces formations durent entre trois et douze mois, elles sont donc très engageantes pour les collaborateurs. On se doit de prioriser des postes pour eux. Cela participe de notre contrat social. Nous leur garantissons donc un poste chez Orange à l’issue de leur reskilling. En 2023, nous avons enregistré 500 changements de métier.
Quid du maintien de salaire de ces «reconvertis» ?
Nous leur garantissons un salaire au moins équivalent à celui de leur précédent poste même si le niveau de leur rémunération peut parfois être supérieur à celui d’un recrutement externe. De plus, ils peuvent dans certains cas percevoir une prime pour acter leur engagement dans ce changement de métier.
Quelle est la proportion de salariés Orange formés chaque année ?
L’an passé, 97% des collaborateurs ont reçu au moins une formation. Soit 20,5 heures en moyenne. Une moitié se déroule en présentiel, l’autre à distance via des portails de formation digitaux. A date, on ne compte pas moins de 27 000 modules de formation accessibles en ligne.
Une offre pléthorique donc. Comment les salariés s’y retrouvent-ils pour viser au plus juste de leurs besoins ?
Environ 1 000 personnes travaillent sur les sujets de formation continue chez Orange. Au quotidien, ils conçoivent des modules et accompagnent les salariés dans leur plan de développement des compétences. Pour encore davantage optimiser les parcours de formation continue, nous sommes en train de tester une intelligence artificielle capable d’orienter les salariés vers les meilleurs cursus en fonction de leur profil, de leur métier et de leur souhait d’évolution. Cette IA devrait être déployée au niveau groupe en cette fin d’année.
A propos d’intelligence artificielle, comment abordez-vous ce sujet avec les salariés du groupe ? Ont-ils été formés aux usages des IAG ?
Nous avons sensibilisé 40 000 collaborateurs français afin qu’ils comprennent comment les IAG fonctionnent et quels pouvaient être leurs usages au quotidien. Tout le monde a aujourd’hui expérimenté Dinootoo, notre Chat GPT interne.
Je crois savoir que vous avez mandaté des sociologues pour réaliser une étude interne sur l’impact de l’IAG sur les salariés. Quels sont les premiers résultats ?
Il s’agit en effet de comprendre le ressenti des salariés face au déploiement des outils d’IAG chez Orange. Les résultats sont en cours d’exploitation mais on peut d’ores et déjà dire qu’il se dégage deux types de population. Environ 60% des répondants sont engagés pleinement dans cette révolution technologique. Les 40% restants regardent ce sujet un peu de côté et mentionnent des inquiétudes. Nous devons être vigilants à ce que les salariés les moins embarqués sur ces sujets d’IAG ne se replient pas sur eux-mêmes. Il va nous falloir les accompagner.
Vous avez souligné tout à l’heure que la moyenne d’âge était de 49 ans chez Orange. Ce qui implique de nombreux futurs départs à la retraite et interroge sur la transmission des savoir-faire entre les partants et les salariés qui vont reprendre le job. Comment se déroule cette transmission ?
Vous avez raison, cette transmission de savoir-faire est indispensable. Durant les périodes où ils travaillent encore, nos salariés qui ont opté pour notre dispositif de temps partiel senior (NDLR : 7 600 personnes) assurent la transmission de leur savoir-faire aux collaborateurs qui vont reprendre leurs missions. Ces derniers suivent également des modules de formation en ligne et sont notamment accompagnés par nos 600 partenaires des apprentissages et du développement des compétences. Des salariés experts en transmission des savoir-faire qui interviennent sur l’ensemble d’un territoire.
Menez-vous une politique de formation spécifique envers les salariés seniors ?
Actuellement, nous n’avons pas de programmes spécifiques pour les seniors. On ne constate pas de diminution du taux de formation après 55 ans. Ce qui signifie que les collaborateurs seniors se forment autant que les autres.
Et pour les plus jeunes ? Notamment ceux que l’on appelle les hauts potentiels ?
Nous disposons de différents programmes de formation continue pour faire grandir nos jeunes recrues. Notamment l’Orange Graduate Program, un programme très sélectif qui vise à attirer et fidéliser des jeunes aux pensées disruptives, boosters d’innovation et d’ambition pour accompagner nos transformations et construire le futur de l’entreprise. Ce dispositif vise à accélérer leur potentiel et à leur permettre de prendre des postes à responsabilités très rapidement dans un environnement tech, international et innovant.
Comment se déroule le Graduate Program ?
Durant trois ans, les participants ont l'opportunité de découvrir différents écosystèmes et métiers clés au sein du groupe, en France et à l'international. Ils effectuent au moins une mission à l’étranger ou dans un écosystème international, au sein de l'une de nos filiales, leur permettant de s'imprégner des enjeux globaux de notre secteur et de développer une compréhension approfondie des différentes cultures et des marchés. Ils acquièrent ainsi plusieurs expériences leur permettant d’avoir des responsabilités dès le début pour booster leurs compétences et acquérir très rapidement une vision globale de nos activités.
Les jeunes sont-ils toujours aussi friands de ce type de Graduate Program ?
Pour la campagne 2024, nous avons enregistré plus de 3 500 candidatures, soit le double des années précédentes. De plus, nous avons attiré deux fois plus de profils internationaux cette année. Ce sont des signes de l'attractivité croissante du programme et du groupe. Nous comptons aujourd’hui, une communauté de plus de 500 alumni ayant été accélérés par le Graduate Program et qui occupent aujourd’hui des postes stratégiques et à fort impact au sein du groupe. Plus de 200 Graduate sont actuellement en cours de formation dont la moitié d’étrangers et la moitié de femmes. Et 50 sont recrutés chaque année.
Que proposez-vous aux autres jeunes cadres non éligibles au Graduate Program ?
En début de carrière, 50 jeunes recrues peuvent suivre notre cursus à La Petite Fabrique d’Orange France. Tous les ans, un appel à candidatures est partagé auprès de jeunes de moins de 30 ans et 30 d’entre eux sont sélectionnés sur des critères non académiques pour participer à ce programme d’accompagnement de six mois composé de neuf journées de formation.
Ils suivent une pédagogie en trois phases : une phase d’inspiration pour mieux comprendre les enjeux d’Orange France et s’inspirer d’intrapreneurs qui font bouger les lignes ; une phase d’introspection pour identifier leurs talents et la thématique sur laquelle ils souhaitent travailler en équipe ; une phase de passage à l’action afin d’expérimenter des méthodes de travail entrepreneuriales comme le design thinking, le lean start-up, l’intelligence collective, les pitchs à travers un projet d’innovation. A la fin du programme, les équipes présentent leur projet devant le comité de direction et certaines d’entre elles obtiennent un soutien pour la concrétisation du projet.
Donnez-vous accès à des MBA ?
En interne, nous avons en effet un mini-MBA, «Grow For Tomorrow», que suivent une cinquantaine de salariés chaque année. Il s’agit de leur enseigner des dimensions de leadership, de communication, de stratégie et de marketing afin qu’ils aient une vision plus large de leur poste et de leur parcours de développement. C’est aussi l’occasion pour eux de networker en interne.
Et vous, à titre personnel, quelles sont les dernières formations que vous avez suivies ?
Comme la très grande majorité des salariés du groupe, j’ai suivi nos formations sur la cybersécurité et l’éthique. J’ai d’ailleurs été bêtatesteur de celle sur la «compliance». La première version ne se mettait pas assez à la place des conseillers en boutique, par exemple. La version définitive s’adresse désormais de manière très concrète aux équipes. Un conseiller clientèle doit ainsi être vigilant à la protection des données comme les adresses des clients.
Quelle formation rêveriez-vous de suivre ?
J’aimerais suivre une formation qui me permettrait d’encore mieux appréhender l’impact de l’intelligence artificielle sur nos métiers.
Bio express de Vincent Lecerf
- Diplômé de l’EDHEC et titulaire d'un DEA de sociologie des organisations de Paris IX Dauphine.
- Postes de direction des ressources humaines pour les groupes Valeo, Poclain Hydraulics, Rhodia, Norbert Dentressangle, Tarkett et Imerys.
- Directeur des ressources humaines et de la transformation du groupe Orange depuis octobre 2022.
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