
Quelle mouche a bien pu les piquer ? Edouard Philippe, Gérald Darmanin, Bruno Retailleau, David Lisnard, Gabriel Attal et beaucoup d’autres envisagent d’introduire une part de retraite par capitalisation dans le système actuel. A droite, c’est une idée ancienne. La gauche moderne, en revanche, y est historiquement opposée, même si Jean Jaurès, en son temps, en faisait la promotion – «bien maniée par un prolétariat organisé et clairvoyant, la capitalisation peut servir très substantiellement la classe ouvrière», disait-il. Un verrou vient cependant de sauter, lors du conclave sur les retraites, avec une CFDT pour qui le sujet n’est désormais plus… tabou !
Est-ce à dire que notre système par répartition est tellement mal en point qu’il faille en passer par la «capi» ? Les Français sont partants : 53% d’entre eux y sont favorables, selon le baromètre BPCE L’Observatoire de juin. Dans le contexte actuel d’instabilité politique, selon les forces qui émergeront, ce débat peut très vite être mis au rebus ou, au contraire, revenir sur le devant de la scène.
Qu’est-ce que le système par capitalisation ?
C’est un système dans lequel vous cotisez pour vous-même, comme avec n’importe quel produit d’épargne. Vos cotisations (les vôtres et celles de votre employeur), placées sur votre compte, sont investies sur les marchés financiers, et vos gains viennent tous les ans grossir votre capital. Si le rendement est de 3,50% par an par exemple, pour 10 000 euros versés, vous récupérez 17 250 euros vingt ans plus tard. Pourquoi faudrait-il s’en priver ?
Rien de tel avec le système par répartition. Ici, les cotisations, prélevées chaque mois sur les salaires à hauteur de 28% (incluant parts patronale et salariale), servent directement à financer les pensions des retraités actuels. Quant à votre retraite, elle sera payée par les cotisations des salariés actifs au moment où vous quitterez le monde du travail.
Dans le contexte actuel, le régime par capitalisation présente de nombreux avantages. Il est d’abord beaucoup moins dépendant de la démographie et du vieillissement de la population, qui fragilisent le système par répartition. Le nombre d’actifs cotisant pour un retraité ne cesse en effet de baisser : en 1990, 4 actifs finançaient 1 retraité, contre 2,54 en 2025, 2 en 2040, voire 1,75 en 2070… «L’équité intergénérationnelle plaide pour une part de capitalisation, afin de ne pas écraser les jeunes sous le poids des cotisations», note Bertrand Martinot, expert associé à l’Institut Montaigne.
Un complément à notre système de retraite actuel
«De manière générale, le système par capitalisation est plus performant, indique Eric Weil, spécialiste des retraites et ancien conseiller ministériel. Le rendement d’un régime par répartition est similaire au taux de croissance économique, qui s’est établi en France autour de 1,2% par an en moyenne sur les 20 dernières années, quand le rendement réel moyen (hors inflation, lire le tableau ci-dessous) des régimes de capitalisation étrangers tourne autour de 3% sur 20 ans.» Ce meilleur rendement peut nous permettre de réduire l’effort de financement, de plus en plus lourd, de notre système de retraite actuel.
Ceux qui défendent aujourd’hui la capitalisation l’envisagent en complément de nos retraites, pas en remplacement. En 2024, les pensions versées en France représentaient 407 milliards d’euros. Pour qu’un régime par capitalisation se substitue intégralement au système actuel, il faudrait qu’il génère ce montant chaque année, et donc qu’il dispose d’un capital de… 8 000 milliards d’euros en réserve (à 5% de rendement moyen sur 20 ans) ! Alors que le gouvernement peine à trouver les quelque 40 milliards d’euros pour boucler son budget, on voit mal comment une telle somme pourrait être mobilisée.
Comment financer la période de montée en charge de la capitalisation ?
Mais la capitalisation peut utilement compléter notre système, à hauteur de 10 à 15%, en devenant le troisième étage de notre fusée retraite (le premier étant, pour les salariés, la retraite de la Sécu et le second, le complément Agirc-Arrco). Ce serait un acte de saine gestion, qui permettrait aux Français de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Et, comme nous l’avons évoqué, cela allégerait, mais à terme seulement, le montant des cotisations à payer par les actifs.
Car une question centrale demeure : comment gérer la période de montée en charge de la capitalisation ? Avant qu’elle ne finance 10 à 15% des pensions chaque année, il va bien falloir constituer le capital qui va permettre de dégager ces sommes. Ce qui veut dire cotiser… deux fois : dans le système par répartition pour payer les pensions actuelles et dans un système par capitalisation pour les retraites futures.
Pas sûr que les Français apprécient ! «Viser une part de capitalisation représentant à terme 10 ou 15% pour les seuls salariés du privé, nécessiterait d’injecter 20 milliards d’euros de plus chaque année dans le système», calcule Eric Weil. Ce serait efficace au bout de 30 à 40 ans, les gains générés permettant alors d’alléger l’effort consacré au financement de la retraite. «Mais, d’ici là, la facture totale atteindrait entre 300 et 400 milliards d’euros», précise-t-il…
Comment les trouver ? C’est bien là le problème. Pas en augmentant les cotisations des actifs et des employeurs, qui sont déjà au taquet. Quid d’un cocktail de mesures comme la vente de certaines participations de l’Etat ou l’utilisation des réserves de l’Agirc-Arrco (108 milliards d’euros en 2024), comme le suggère Bertrand Martinot ? Pas facile à mettre en œuvre. Et s’il valait mieux inciter les Français à investir dans leurs plans d’épargne retraite individuels ou d’entreprise, eux aussi gérés en capitalisation ? Eu égard au poids des retraites dans nos dépenses publiques, le débat mérite d’être posé.
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