
La brume marine s’est enfin levée sur Saint-Brieuc, ce matin de mars. On pourra bientôt distinguer la baie toute proche de la préfecture des Côtes-d’Armor. Mais en attendant, c’est un véritable champ de ruines qui se dévoile sous les cris des mouettes. La façade délabrée de l’ancien siège du Crédit agricole n’abrite plus que des éclats de verre et des gravats.
En déshérence depuis 2018, ce bâtiment est ce que l’on appelle une friche urbaine. «Un terrain qui a perdu sa fonction initiale», disent sobrement les urbanistes. Des sites à l’abandon comme celui-là, la ville bretonne de 45 000 habitants en compte plus d’une vingtaine, dont 13 en plein centre, comme des verrues posées à côté des vieilles maisons à colombage. Et cela fait rager son maire Hervé Guihard (divers gauche).

25% de vacance pour les locaux commerciaux
«A partir des années 2000, on a assisté à une fuite des habitants vers la périphérie, où une grande zone commerciale s’est développée et où les services ont suivi», se désole-t-il depuis sa mairie, édifiée à la fin du XIXe. Adieu, familles de la classe moyenne, cliniques, banques, cinémas ou magasins de vêtements et de bricolage. Le centre s’est appauvri et vidé à mesure que sortaient de terre des Carrefour, Leclerc et autres Lidl. Saint-Brieuc n’est pas la seule ville moyenne à connaître ce phénomène, mais elle est l’une des plus touchées, ayant perdu 17% de sa population depuis les années 1990. Ses locaux commerciaux affichent même le triste record de près de 25% de vacance, alors qu’il est de 13% en moyenne dans ce type de commune. Depuis peu, pourtant, la cité briochine s’est remise à espérer.
En 2021, l’équipe municipale a eu l’idée d’organiser l’opération «Ouvrez les yeux sur Saint-Brieuc !». Une visite VIP de ses friches pour les promoteurs et les investisseurs privés, avec argumentaire vantant son bord de mer, sa situation à mi-chemin entre Rennes et Brest, et sa relative proximité avec Paris, à deux heures et dix minutes de train. Et ça a marché : la quasi-totalité des terrains ont trouvé preneur. La bâtisse du Crédit agricole reprendra vie courant 2027 avec, au rez-de-chaussée, le guichet unique d’accueil des habitants de la ville et, dans les étages, des bureaux administratifs et des logements, ainsi qu’un bar «roof top» pour couronner le tout.

Réhabiliter l'existant pour éviter d'artificialiser des terres
Dans quelques mois seulement, les Briochins inaugureront également le Totem de l’innovation à la place de l’ancien siège de la Caisse d’allocations familiales et de l’Urssaf. Un lieu de 6000 mètres carrés dédié aux nouvelles technologies, avec des start-ups, des espaces de coworking et de réception, des bureaux, une salle de sport et un restaurant. Impressionnée par ces réalisations, la Fabrique de la Cité, un cercle de réflexion spécialisé dans les transformations urbaines, a même décidé d’organiser à Saint-Brieuc une journée thématique consacrée aux friches, érigeant la cité bretonne en exemple. «C’est un modèle qui peut fonctionner dans presque toutes les villes moyennes», confirme Hervé Guihard. A condition que l’équipe municipale se mobilise sur le projet.
Celle de Saint-Brieuc a mâché le travail des investisseurs en réalisant toutes les études techniques de ses friches, de la nature du sous-sol à la détection d’amiante. Elle s’est aussi positionnée en facilitateur, jouant les intermédiaires avec les services de l’Etat, concernant les règles d’urbanisme notamment. Enfin, elle a réussi à attirer des financements publics pour des raisons environnementales. Car en construisant sur un bâti déjà existant, on évite d’artificialiser de nouvelles terres. Une démarche vertueuse qui lui a permis d’obtenir le soutien du programme Action Cœur de ville, de la Banque des Territoires et de l’organisme Action Logement Services. Leur apport a été décisif, la réhabilitation coûtant plus cher que la construction neuve. En couplant subventions et taux d’intérêt réduits, les projets ont coûté environ 1000 euros hors taxe le mètre carré.

Redonner de la mixité sociale dans le centre
Exception faite des bâtiments classés monuments historiques, comme l’ancienne Caisse d’Epargne datant de 1909, monumentale avec sa façade en pierre sculptée et ses décors en granit bleu poli. «Dans ces cas-là, on atteint facilement 2300 à 2600 euros le mètre carré», détaille Wilfried Brittman, président de Beau patrimoine, la société qui a bouclé le montage de cette opération immobilière. La superbe demeure accueille aujourd’hui dix logements. Une réalisation qui correspond exactement à ce que la ville attend : de l’habitat à loyer accessible.
«On n’arrivera pas forcément à faire revenir les commerces, mais on peut stabiliser la population et redonner de la mixité sociale avec des jeunes, des personnes âgées et des familles d’actifs», martèle Hervé Guihard. Si la pauvreté n’a pas reculé depuis 2021, Saint-Brieuc a néanmoins réussi à gagner plusieurs centaines d’habitants. Certes, le chemin semble encore long avant de redynamiser les commerces du centre-ville. Mais peu à peu, les rues et les places changent de visage, invitant davantage les promeneurs à s’y attarder. Loin, très loin des parkings bitumés de la périphérie.
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