Le logement et plus largement l’immobilier ont toujours été portés par des initiatives et des réussites personnelles. Nos enseignes de promotion, de transaction, de gestion, nos franchises, ont pour la plupart été créées par des femmes ou des hommes entrepreneurs. Il en va de même dans le monde associatif du logement, qui doit tout ou presque à la générosité et à l’audace d’une personne, qui a su en entraîner d’autres. Cette situation a conduit nombre de marques à être éponymes, c’est-à-dire à porter le nom de leur créateur. Deux événements récents nous font réfléchir sur cette collusion entre un homme et une entreprise ou une association, la destitution morale de l’Abbé Pierre et la condamnation de Stéphane Plaza.

D’évidence, dans les deux cas les communautés derrière ces marques ont ressenti un préjudice considérable au point de changer de nom et d’abandonner sèchement toute référence au fondateur. Dans les deux cas, les figures emblématiques qui avaient inspiré la naissance de l’organisation ont été associées à des actes moralement et judiciairement répréhensibles. Dans le cas de l’homme de l’appel de l’hiver 54, la justice a estimé que les faits étaient prescrits, embarrassant la Fondation Abbé Pierre comme le clergé qui eussent préféré qu’ils soient jugés et condamnés : l’Abbé Pierre a été condamné par la vindicte populaire à défaut d’avoir été jugé par un jury d’assises. On ne peut que comprendre, dans ces conditions, que les dirigeants de Plaza Immobilier comme ceux de la Fondation Abbé Pierre ait voulu changer de nom. L’enjeu consistait à enrayer le préjudice d’image subi par les parties prenantes.

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De nouveaux noms pour Plaza Immobilier et la Fondation abbé Pierre

Dans le nom du fondateur d’une entreprise, franchise ou mouvement associatif en l’occurrence, on cherche un modèle, incarnation de valeurs et de qualités en quelque sorte transmissibles à tous ceux qui portent la marque. L’image ne fait pas dans le détail : si on représente une personnalité dont un côté sombre vient à être révélé, cela accrédite qu’on souscrit aussi aux failles mises au jour et aux travers de l’homme en question. Le problème du doute judiciaire, tant qu’un présumé coupable n’est pas condamné en dernière instance, n’en est pas un : la seule incrimination altère l’image et le temps judiciaire, long, est incompatible avec l’immédiateté médiatique. En clair,  au plan médiatique, interjeter appel d’une décision de première instance ne suspend pas la dégradation de l’image. Le pire est même ailleurs : en cas de réhabilitation judiciaire, le mal médiatique est fait.

Cette logique vaut dans les deux sens et les responsables de Plaza ou de la FAP (Fondation abbé Pierre) pâtissent du négatif comme ils ont bénéficié du positif. La Fondation pour le logement des démunis, nouveau nom de la Fondation Abbé Pierre, ou 6e Avenue, nouveau nom de Plaza Immobilier, doivent désormais s’interroger doublement. Peuvent-ils d’abord capitaliser sur le passé heureux ou le compteur est-il remis à zéro? Et peuvent-ils encore tirer partie du côté incontestable des hommes dont ils ont porté haut les couleurs pendant des dizaines d’années pour la FAP ou des années pour la franchise de Stéphane Plaza?

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Le passé vertueux ne doit pas être oublié

Clairement, avec toute la difficulté d’un exercice consistant à devoir trier dans une vie et dans un bilan, le passé vertueux non seulement ne doit pas être renié mais doit être revendiqué. Les combats menés et gagnés par l’Abbé sont un acquis social pour notre pays et c’est sur cette base que les combats consécutifs se fondent. Le droit au logement constitutionnel, opposable, l’attention publique au logement des plus fragiles, l’institutionnalisation du logement social, les circuits de financement dédiés, et tant d’autres progrès, certes toujours à consolider, sont là et figurent au bilan de l’Abbé, définitifs et pour l’avenir. Ce que Stéphane Plaza a apporté à la profession d’agent immobilier ou d’administrateur de biens, un sens renouvelé de l’empathie, du dévouement, de l’accompagnement et du service, constitue un contenu de la marque et une promesse au demeurant tenue. Le métier aura aussi présenté une face plus aimable pour les jeunes ou les moins jeunes, qui s’y sont davantage engagés - les écoles spécialisées l’ont mesuré. Renier le passé serait une erreur. Dans les deux cas, il aura été glorieux et aura permis des avancées, pour l’une dans l’action publique, pour l’autre dans les évolutions des pratiques professionnelles et de l’attractivité des activités de transaction et de gestion.

Et ces enseignes peuvent-elles continuer à invoquer les hommes qui les ont inspirées? Sujet délicat. Le pari est à haut risque. Dans d’autres domaines, celui des idées, l’exercice est plus facile : Heidegger ou Louis-Ferdinand Céline sont encore étudiés dans les écoles et universités, même si leur côté sombre est avéré et leurs complaisances envers le pire incontestées. Dans le domaine commercial ou de l’engagement associatif, cela ne marche pas. Les logiques sont plus rustiques et plus élémentaires.

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La fin des marques éponymes ?

Ces deux exemples et bien d’autres semblables peuvent conduire à se demander si l’on ne vit pas la fin des marques éponymes, notamment dans le logement. Le logement est devenu une cause, qui fait mauvais ménage avec les faux pas éthiques ou moraux. Dans le même temps, les dirigeants médiatisés sont désormais scrutés. Leur passé est fouillé, avec des intentions pour partie nobles pour parties liées à l’envie d’abîmer et à une certaine jalousie  ou à des calculs vénaux. Le résultat est là : une fragilité des hommes, que les institutions n’ont pas au même degré.

Cette fragilité fragilise les enseignes et la tentation de tirer profit des forces, le plus souvent exceptionnelles de ces personnalités rares, doit être tempérée par les risques de retournement. C’est un véritable ouragan qui souffle sur les marques éponymes. Le cas de la FAP nous montre même que la mort de la personne n’éteint pas le risque : l’Abbé Pierre a rendu son dernier souffle en 2007! Toutes les entreprises et les associations du logement doivent tirer enseignement de ce qui arrive là et anticiper. Ces séismes disent également que loger les ménages a une grandeur qui ne saurait s’accommoder des bassesses, révélation heureuse. À quelque chose malheur est bon.