La scène se passe fin 2021. Une salariée d’une grande entreprise française d’informatique – nous l’appellerons Isabelle, pour préserver son anonymat – est appelée dans le bureau de son manager. «Il m’a fait comprendre que j’allais avoir 60 ans en 2022, et que c’était le bon moment pour partir. L’idée étant que je n’apparaisse plus dans les effectifs et que je ne vieillisse pas les statistiques…», raconte cette désormais ex-employée. Dans le monde du numérique, où les start-up s’arrachent déjà les jeunes talents, on n’aime pas trop que les tempes grises tirent la moyenne d’âge vers le haut. Isabelle a aussitôt fait appel à un avocat pour obtenir un licenciement avec transaction et strict accord de confidentialité.

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L’ironie de l’histoire? A quelques mois près, elle aurait pu partir avec une retraite anticipée pour carrière longue. Mais impensable, après cet échange «brutal», d’imaginer passer une seconde de plus à son poste. «Ce qui m’est arrivé n’a rien d’exceptionnel. J’étais manager, et on m’avait déjà demandé d’approcher des seniors de cette façon-là. Avec cet argument massue: "Ne vous inquiétez pas, vous allez toucher le chômage"», soupire-t-elle.

Incorrigibles patrons! Ceux-là mêmes qui n’ont de cesse de réclamer un recul de l’âge de départ en retraite ont pourtant toutes les peines du monde à maintenir leurs salariés les plus âgés dans l’emploi. Et alors que la présentation par Elisabeth Borne du nouveau projet de réforme des retraites a sifflé le top départ de la rentrée sociale, les syndicats ne se privent pas d’enfoncer le clou, dans la rue comme dans les médias. «Un senior sur deux n’est pas dans l’emploi au moment de l’âge légal», a encore scandé Philippe Martinez, le leader de la CGT, au micro de France Inter le 7 janvier. Difficile de le contredire: si le taux d’emploi des plus de 55 ans a progressé ces dernières années, la France reste néanmoins parmi les cancres des pays développés. Et c’est encore pire pour les 60-64 ans, avec un taux qui chute à 35,5%, bien en deçà de la moyenne de l’OCDE. Résultat: nous quittons le marché du travail deux ans et demi avant les autres !

Et ce petit monde ne bénéficie pas toujours (ou plus) des allocations de Pôle emploi. «Nous avons créé une poche de précarité de deux ans avant l’âge de liquidation, avec des gens qui vivent soit du chômage, soit des minima sociaux», constate Anne-Marie Guillemard, professeure émérite en sociologie à l’université Paris Descartes. Les entreprises ont du mal à changer le regard qu’elles portent sur les seniors. «Il y a un effet de retard dans la gestion des ressources humaines, qui pendant longtemps a privilégié les classes d’âge autour de la quarantaine», note François-Xavier Albouy, économiste au Club Landoy, un groupe de réflexion dédié à la révolution démographique. Le tout, au détriment des plus jeunes trop peu expérimentés et des plus vieux, qui le seraient un peu trop!

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