Encore un dérapage que le gouvernement n’avait pas vu venir : celui du «trou de la Sécu», de 18 milliards d’euros, accompagné d’un potentiel dépassement inattendu de 1,2 milliard d’euros des remboursements de médicaments – le ministère du Budget et des Comptes publics n’a pas encore confirmé ce dernier chiffrage. L'augmentation rapide des dépenses en 2023, associée à des remises inférieures aux attentes de la part des laboratoires pharmaceutiques, a ajouté une pression supplémentaire sur des finances déjà fragiles. Pour y faire face, l'exécutif envisage des mesures impopulaires, telles que l'augmentation des prélèvements sur les laboratoires ou la baisse du remboursement des médicaments, menaçant de revenir sur des engagements de plafonnement précédemment pris.

Dans un rapport cinglant dont les conclusions ont été rendues publiques le 19 novembre 2024, les sénateurs accusent les gouvernements successifs dirigés par Elisabeth Borne et Gabriel Attal d'avoir ignoré les signaux alarmants sur l'état des finances publiques et d'avoir pris des décisions tardives et inadéquates face à un déficit galopant. Cette mission sénatoriale sur la dégradation du déficit public entre fin 2023 et 2024 visait à «expliquer l'écart entre un déficit public 2025 prévu à 6,9% du PIB si rien n'est fait, d'après une note du Trésor du 11 septembre 2023, et une prévision à 3,7% du PIB inscrite dans la loi de programmation des finances publiques, promulguée le 18 décembre 2023». Soit un «écart» de 100 milliards d’euros. Comment peut-on se tromper à ce point ?

L’optimisme borné du gouvernement

Bruno Le Maire, ministre démissionnaire de l'Économie, s’est défendu en avançant des recettes fiscales inférieures aux attentes et l'augmentation rapide des dépenses des collectivités territoriales. De quoi susciter l’ire de l’Association des maires de France, qui dénonce une stratégie visant à détourner l'attention du déficit de l'État et des comptes sociaux, rappelant que leur endettement reste stable (9% depuis 30 ans) comparé à celui de l’État.

De son côté, Elisabeth Borne, également auditionnée par la mission d'information du Sénat, a argué le calendrier serré et les priorités concurrentes, telles que la loi Immigration, qui ont occupé son attention à l'époque. Une maigre justification aux yeux des sénateurs, qui soulignent qu’elle aurait pu adopter des mesures d’ajustement d’une valeur estimée à 1,5 milliard d'euros. Au lieu de cela, la décision de ne pas agir a contribué à creuser encore davantage le gouffre budgétaire.

Gabriel Attal, son successeur à Matignon, n’a pas échappé aux critiques. Bien qu'il ait pris certaines mesures correctrices, notamment des annulations de crédits par décret en février 2024, le Sénat estime que l’absence d’un projet de loi de finances rectificative (PLFR) a limité la portée des actions de redressement. Les sénateurs accusent cette décision d'avoir été motivée par des calculs électoraux, visant à éviter des mesures impopulaires à l’approche des élections européennes et à se protéger d'une éventuelle motion de censure.

Dans le fond, la mission sénatoriale, emmenée par Claude Raynal et Jean-François Husson, dénonce une «irresponsabilité budgétaire assumée», mettant en avant les multiples alertes reçues par l’ancienne Première ministre, notamment celle envoyée dès la fin de 2023 par son ministre de l'Economie Bruno Le Maire et son ministre du Budget Thomas Cazenave, qui indiquait clairement la nécessité de communiquer sur la situation budgétaire critique. Ces alertes ont été consciencieusement ignorées.

Des prévisions fiscales défaillantes

Le constat est sans appel : des choix politiques basés sur des calculs à court terme et un manque de transparence ont contribué à aggraver une situation déjà critique. Sur les sept premiers mois de 2024, les recettes fiscales nettes de l'Etat étaient légèrement inférieures à celles collectées en 2023 sur la même période (-0,2%), alors que la loi de finances initiale tablait pour l'ensemble sur une hausse de 7,9%. Comme l'an passé, ce sont les recettes de TVA nette et d'impôts sur les sociétés, très en retard sur leur table de marche, ont finalement affiché des performances largement inférieures aux attentes, exacerbant le déficit. Les premières reculaient même de 2,1% alors qu'elles étaient censées progresser de 5,9%.

Il est vrai que l’instabilité gouvernementale n’a pas aidé. Les changements successifs à la tête du gouvernement et les retards dans la nomination d’un nouveau Premier ministre ont entraîné un ralentissement de l’action publique et un manque de réactivité face à l’urgence budgétaire. Les sénateurs n’hésitent pas à blâmer l’Élysée pour ces mois perdus, affirmant que l’absence de direction claire a retardé la mise en place de mesures de redressement.

Ces dérapages budgétaires répétés ne sont pas sans conséquences. L'État a déjà annulé des crédits budgétaires pour un montant de 10 milliards d'euros en février, suivis de gels supplémentaires de 16 milliards. Ces mesures, qui limitent l'utilisation des fonds par les ministères, affectent directement les services publics et la vie des citoyens. En parallèle, l'exécutif doit composer avec une opinion publique méfiante et une pression croissante des agences de notation qui surveillent de près la dette colossale de la France, actuellement évaluée à 3 100 milliards d'euros.

L'ampleur des économies nécessaires pourrait pousser le gouvernement à adopter une loi de finances rectificative d'ici la fin de l'année. Même si la mise en œuvre de telles mesures reste incertaine, nécessitant une majorité parlementaire pour leur adoption.