
La chasse aux abus s’intensifie dans le monde du travail. En parallèle du renforcement des contrôles de la Sécurité sociale, un nombre croissant d’entreprises fait appel à des enquêteurs privés pour vérifier la véracité des arrêts maladie de leurs salariés. Fabrice Lehmann, détective privé depuis trois décennies, suit désormais régulièrement des salariés en arrêt maladie. Il évoque des cas de plus en plus fréquents de «cols blancs» qui, bien qu’en arrêt pour raison médicale, continuent à exercer une activité professionnelle – parfois pour le compte de concurrents, parfois pour lancer leur propre entreprise.
Il fait partie des cinq détectives privés interrogés par Reuters, qui tous constatent une hausse sensible de leurs missions liées aux arrêts maladie, comme le rapporte BFMTV. Baptiste Pannaud affirme même que ce type de contrats a plus que doublé au cours des quatre dernières années. Certains détectives ont même délaissé leurs activités traditionnelles (relations extra-conjugales, litiges familiaux) pour se spécialiser sur ce créneau.
Une charge de plus en plus lourde pour la Sécu et les employeurs
Selon la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam), les dépenses d’indemnités journalières ont bondi de 27,9% entre 2019 et 2023. Une hausse qui s’explique en partie par des facteurs démographiques (vieillissement, hausse de la population active) et économiques (salaires en hausse), mais aussi par la multiplication des arrêts de travail et leur fréquence croissante. En 2024, la Cnam a détecté 42 millions d’euros de fraudes liées aux arrêts de travail – un montant plus de deux fois supérieur à celui de 2023. Et encore, ces chiffres restent probablement sous-estimés, les contrôles ayant été significativement renforcés qu’à partir de 2022.
Côté employeurs, la facture est également salée. Si l’Assurance maladie couvre une indemnité journalière plafonnée à 41,47 euros, les entreprises doivent généralement assurer le complément de salaire – et parfois les jours de carence – selon les accords de branche. Résultat : les arrêts injustifiés pèsent directement sur les finances des employeurs, qui cherchent de plus en plus à se protéger.
Mais les preuves réunies par les détectives ne débouchent pas toujours sur des sanctions. Bruno Boivin, enquêteur privé, raconte avoir été mandaté par une grande entreprise de transport public dont 30% d’un service était en arrêt maladie. Malgré plusieurs flagrants délits — des salariés surpris en train de travailler ailleurs pendant leur arrêt —, les procédures n'ont pas abouti. «On a fait des dossiers, on a fait des flagrants délits de gens qui bossaient ailleurs (…). Puis jamais personne n'a été sanctionné et le client a arrêté de nous solliciter en disant 'ça sert à rien ce que vous faites, de toute façon on peut pas virer les gens'», témoigne-t-il.
Dans un contexte de redressement des finances publiques, le gouvernement fait de la lutte contre la fraude sociale une priorité, notamment sur les arrêts maladie, en forte hausse depuis la crise sanitaire.

















