À Maen Roch (Ille-et-Vilaine), la biscuiterie La Mère Poulard doit importer son beurre des Pays-Bas alors que ce dernier est produit à Condé-sur-Vire, en Normandie, à seulement 90 km de son site. «Cela signifie qu’il a voyagé pour être congelé aux Pays-Bas, avant de revenir en Bretagne décongelé», déplore auprès du Parisien, Sébastien Pautrel, directeur général de l’entreprise. Ce détour est dû aux traders néerlandais, intermédiaires achetant et stockant du beurre auprès de différentes laiteries européennes avant de le revendre.

Malgré une consommation mensuelle de 70 tonnes, La Mère Poulard ne parvient pas à signer de contrats directs avec des producteurs locaux. «Aucun fabricant ne veut s’engager sur la durée, même si je suis prêt à payer le prix demandé», explique Sébastien Pautrel. Cette dépendance renforce l’empreinte carbone de l’entreprise, alors même qu’elle cherche à réduire son impact environnemental.

Une flambée des prix portée par les intermédiaires

La situation reflète les tensions du marché mondial. Avec une consommation annuelle moyenne de 8,5 kg par habitant, la France ne produit pas assez de beurre pour répondre à la demande, notamment industrielle. Simultanément, la production européenne diminue tandis que les besoins, notamment asiatiques, explosent. En conséquence, le prix du beurre industriel a bondi de 80 % en un an.

Les traders, souvent basés aux Pays-Bas pour des raisons fiscales, profitent de cette dynamique. En spéculant sur les stocks, ils revendent à des prix beaucoup plus élevés, privant agriculteurs et producteurs de la juste part des bénéfices. «Le beurre livré à la biscuiterie avait été produit huit mois plus tôt et stocké avant d’être revendu à un tarif bien supérieur», précise Sébastien Pautrel.

Vers une régulation pour privilégier le local

Malgré l'absurdité d'une telle situation, les industriels n'ont d'autres choix que de continuer à passer par des sociétés de négoce. «Ils facilitent la mise en relation, connaissent l’évolution des prix, des stocks, permettent l’accès à un marché beaucoup plus vaste», explique au Parisien Christophe Brusset, ex-directeur des achats dans l’agroalimentaire en France, et auteur de plusieurs livres dénonçant les dérives du secteur.

Pour sortir de cette dépendance, certains plaident pour une régulation stricte garantissant une production locale durable et réduisant l’impact carbone. «Tant qu’il n’y aura pas de législation sur l’origine des produits et leur empreinte écologique, les industriels continueront de dépendre des négociants», souligne auprès de nos confrères, Olivier Mevel, maître de conférences à l’Université de Bretagne occidentale.