
Quand il reçoit Capital le 13 février dernier dans sa chicissime clinique parisienne, à quelques enjambées du Trocadéro, Sydney Ohana, alias le médecin des stars, minaude comme il le fait si bien. «Vous n’allez pas écrire quelque chose de trop laudateur sur moi… ?» s’enquiert le chirurgien esthétique. Il faut le comprendre, il ne veut surtout pas d’ennuis avec le Conseil de l’ordre et ses impitoyables censeurs. Ne l’ont-ils pas obligé à expurger de son site Internet et de ses pages Instagram et Facebook tous les termes jugés trop élogieux ? Exit, donc, «l’environnement calme et bienveillant» de la clinique Eiffel Carré d’or, ses «médecins experts», «sa structure hôtelière de prestige» et ses «blocs techniques de pointe».
Six semaines plus tard, c'est sûrement le cadet de ses soucis. Selon les informations de Capital corroborées par Le Parisien, Sydney Ohana a été placé en garde à vue la semaine dernière à la suite de trois plaintes pour viol et agression sexuelle. D'après nos confrères du Parisien, une femme a dénoncé en 2017 trois viols subis au sein de la clinique et chez elle. Dans le cadre de l'enquête, deux nouvelles plaignantes sont apparues. Vis-à-vis d'une patiente venue se faire opérer en 2023, le chirurgien aurait eu des gestes déplacés. La même année, il aurait montré son sexe devant une troisième femme rencontrée lors d'une conférence médicale. Un penchant pour l'exhibition que Capital a pu constater en visionnant deux vidéos non datées, tournées à la clinique. Sur la première, Sydney Ohana, torse nu, est assis derrière son bureau sur lequel trônent des verres et un bouteille de champagne, tandis qu'une demi-douzaine de jeunes femmes dansent devant lui. Sur la seconde, il est debout, deux bougies-fontaines dans la main droite, la troisième plongée dans le pantalon.
Deux avertissements du Conseil de l'ordre en sept ans
Jusque-là, le médecin de 74 ans a surtout eu des démêlés avec le Conseil de l'ordre. Il n’a pas digéré l’avertissement infligé en 2016 par l’instance ordinale pour une malheureuse carte de vœux adressée à d’anciens patients afin de leur annoncer son retour aux affaires après une année entre parenthèses pour raisons de santé. Ses pairs ont toussé en lisant que «le docteur Sydney Ohana vous accueille dans le cadre privilégié de sa clinique […] afin de répondre à vos désirs de beauté», lui qui «opère dans un plateau technique à la pointe de l’innovation médicale, intégré dans un environnement hôtelier prestigieux». Les formules utilisées, ont-ils tranché, relèvent de la «publicité» et de la «valorisation personnelle du praticien et de son cabinet». Bref, d’un manquement aux obligations déontologiques interdisant de pratiquer la médecine «comme un commerce». Un nouvel avertissement tombe en 2022. On lui reproche cette fois des publications de sa clinique vantant des implants capillaires «garantis à vie» et «au prix de la Turquie» ainsi qu’une «offre limitée» promettant «jusqu’à 20% sur votre greffe capillaire».
La chirurgie esthétique taxée à 20%
Sydney Ohana n’en démord pas, la proscription de toute autopromotion est injuste alors que le fisc impose désormais une TVA à 20% sur les actes de chirurgie esthétique dépourvus de finalité thérapeutique, contrairement à la reconstruction d’un nez déformé par un traumatisme ou d’un sein amputé pour éradiquer un cancer. «Avec cette taxe, on peut se demander si notre profession sera capable de survivre», s’inquiète-t-il. Le voilà lancé sur l’un de ses sujets favoris. En 2024, cette maudite TVA lui a coûté cher. Conjuguée avec l’arrêt de l’activité imposé par les Jeux olympiques et paralympiques – la clinique se trouvait dans le périmètre interdit à la circulation –, elle a fait plonger les comptes dans le rouge : Eiffel, qu’il dirige et dont ses trois enfants sont les propriétaires, devrait afficher une perte de 500 000 euros pour un chiffre d’affaires prévisionnel de 8,3 millions d’euros, soit 2 millions de moins qu’en 2023.
Mais ce n’est qu’une mauvaise passe après une succession d’exercices florissants : 2,1 millions d’euros de bénéfice net en 2023, 1,5 million en 2022 comme en 2021 et 1,8 million l’année précédente. Et l’établissement du square Pétrarque, niché dans le ravissant hôtel particulier du marquis de Triquerville, a profité de l’hécatombe provoquée par la pandémie de Covid parmi les cliniques parisiennes. «Nous avons ouvert nos portes à des chirurgiens qui n’avaient plus de plateau technique», résume-t-il. Avec une trentaine de praticiens se relayant dans 4 blocs opératoires, une quarantaine de salariés et 10 lits d’hospitalisation, Eiffel est aujourd’hui le fleuron parisien de la discipline, temple des liftings, des augmentations mammaires, des implants capillaires et des plasties abdominales.
"Ohana récupère des chirurgiens en disgrâce"
L’établissement est-il suffisamment regardant sur le parcours professionnel des blouses blanches qu’il accueille ? «Ohana récupère les chirurgiens en disgrâce, assène un ancien concurrent. Eux ne discutent pas les frais de clinique qu’ils doivent lui payer pour opérer chez lui.» Parmi eux, le docteur Paul Seknadje, 62 ans et plusieurs interdictions temporaires d’exercer à son actif : quatre mois fermes cumulés en 2024, après une condamnation de prison à deux ans, dont un avec sursis, en 2022. Dans cette dernière affaire, il était accusé d’avoir injecté dans le sexe de l’un de ses patients un gel dont l’usage est formellement déconseillé pour les parties génitales. Cette tentative de rattraper plusieurs opérations ratées d’agrandissement du pénis a viré au fiasco. La procédure judiciaire est toujours en cours.
«Il y a 28 000 médecins à Paris, et ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent dans nos dossiers», soupire le docteur Jean-Jacques Avrane, président du Conseil de l’ordre de Paris. Autre habitué de la clinique Eiffel en délicatesse avec la justice et l’ordre des médecins : le spécialiste de la rhinoplastie Olivier Gerbault. La juridiction ordinale lui a refusé l’inscription à Paris pour «manquement à son devoir de moralité» – il avait oublié de signaler une sanction disciplinaire définitive ainsi qu’une kyrielle de procédures disciplinaires, civiles et pénales – et pour exercice illégal de la médecine entre novembre 2023 et janvier 2024. Ce dérapage lui vaut une enquête de la police judiciaire parisienne qui aimerait savoir s’il a exercé ses talents à la clinique Eiffel au cours de cette période. Une réquisition est arrivée sur le bureau de Sydney Ohana, prié de livrer la liste des chirurgiens ayant loué des plateaux techniques chez lui entre la fin de 2023 et 2024.
30% d' étrangers parmi la patientèle de la clinique
Bien sûr, ces subtilités échappent aux étrangers venus pour la plupart des pays du Golfe ou de l’est de l’Europe, qui pèsent 30% de la patientèle, même si les Russes et les Ukrainiens ont déserté le luxueux écrin grège et brun constellé de miroirs. «Avant la guerre, ils représentaient 10% de la clientèle», regrette Sydney Ohana, qui sait les gâter. Ici, le petit déjeuner vient de chez Carette, le dîner (végan, végétarien, halal ou casher) de chez Petrossian, deux institutions parisiennes.
«Génie du marketing», selon l’un de ses confrères, le maître des lieux n’a pas son pareil non plus pour «faire briller le savoir-faire français à l’étranger» et, en même temps, «faire connaître sa clinique hors des frontières». Le jour de notre visite, le docteur Nathaniel Stroumza donnait une masterclass à une poignée de confrères sur une technique de lipoaspiration associée à la radiofréquence pour retirer les graisses tout en retendant les tissus. Début mars, tous les chirurgiens esthétiques parisiens étaient conviés à la clinique Eiffel pour débattre de deux thématiques d’actualité – les complications opératoires et, évidemment, la TVA.
Deux frères en concurrence
Alors qu’il pourrait goûter les joies de la retraite, Sydney Ohana, sept fois grand-père, continue à faire tourner sa jolie cash-machine. «C’est sacrificiel, assure ce boulimique d’activité, je travaille 18 heures par jour. Et j’adore opérer.» N’en déplaise aux fâcheux, convaincus qu’il laisse d’autres manier le scalpel à sa place… «Sydney a de formidables qualités de gestionnaire et de communicant, et c’est un bosseur acharné, reconnaît l’un de ses confrères. Mais s’il poursuit son activité, c’est pour deux raisons : l’argent, et la mainmise qu’il exerce sur la chirurgie esthétique.»
Né à Casablanca dans une famille modeste, le docteur Ohana est l’aîné de six garçons et filles. «L’enfant-roi», glisse un familier. Il a 14 ans quand la tribu s’installe à Paris où, brillant élève, il étudie la médecine, puis la chirurgie. «Une vocation, raconte-t-il. Mon père mécanicien a perdu sa main droite lorsque j’avais 9 ans. Je voulais le réparer.» Spécialiste de cancérologie, du sein notamment, il comprend vite qu’un avenir radieux est promis aux pionniers de l’esthétique, tel son frère Jacques, son cadet d’un an. Sydney retourne donc sur les bancs de la fac pour se former à la chirurgie plastique, dont il deviendra l’une des figures de proue. Et la concurrence entre les deux frères, si dissemblables, sera acharnée. Jacques, aussi discret que talentueux, est le premier à posséder «sa» clinique. Il devra se résoudre à la revendre en 2007, tandis que celle de Sydney prend son essor. Aujourd’hui, le cadet opère parfois dans l’un des blocs d’Eiffel. «Chacun voulait prouver qu’il réussissait mieux que l’autre», observe un proche. A ce petit jeu, l’aîné des Ohana a gagné.
500 000 masques distribués dans les Ehpad parisiens
Sur son CV en or massif figurent également les quatre ouvrages qu’il a consacrés à son art et son implication au sein de la fondation Hadassah France, soutien des activités de recherche de l’hôpital du même nom à Jérusalem. Généreux de ses deniers, il a cofinancé deux films, «24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi» d’Alexandre Arcady et «Sœurs d’armes» de l’essayiste Caroline Fourest. «Des engagements de cœur», souligne-t-il. En avril 2020, il commande 500 000 masques pour les distribuer dans les Ehpad parisiens.
A présent, il épaule le père Desbois dans son combat en faveur des femmes yézidis. «Sydney Ohana est l’une des rares personnes qui nous soutiennent financièrement et nous encouragent», salue l’ecclésiastique. En prime, les chaînes de télévision l’ont sacré «chirurgien des stars». De quoi provoquer des grincements de dents dans ce petit monde où les ego s’entrechoquent. «Moi aussi j’opère des stars, des Miss France, des personnalités politiques, se cabre l’un de ses concurrents très en vue. Et ce n’est pas bien difficile d’avoir des contacts dans les médias ni de passer à la télé…»
Condamné pour diffamation et violences
Parmi les Docteurs Beauté, le septuagénaire ne compte pas que des amis. «Ne me citez pas», exigent ses confrères. Car, ils le savent, l’homme sait être d’une exquise amabilité, mais il est capable de sortir les griffes lorsque ses intérêts sont en jeu. L’avocate d’un ex-patient rapporte s’être sentie menacée par le médecin. «Il m’a dit par téléphone qu’il connaissait mon adresse personnelle», se souvient-elle. La journaliste Mélodie Stewenson, elle, ne comprend toujours pas pourquoi le septuagénaire s’en est pris à elle. L’épisode est rocambolesque. Le 1er novembre 2022, Sydney Ohana est invité sur le plateau de «TPMP», chez son ami Cyril Hanouna. Il affirme avoir été agressé la veille, square Pétrarque, par cette voisine qui lui aurait cassé le nez avec son téléphone portable. Huit jours plus tard, Mélodie livre dans la même émission une version tout autre : c’est le chirurgien qui se serait jeté sur elle, l’obligeant à se défendre. Pas de chance pour le docteur Ohana, les images des caméras de vidéosurveillance, récemment installées devant le domicile de la journaliste, confirment la version de celle-ci. Le 16 décembre dernier, le tribunal judiciaire de Paris condamne le médecin pour diffamation et violences, tandis que la jeune femme est relaxée. Elle est en revanche condamnée pour des coups portés à une proche de Sydney Ohana qui avait volé à son secours. Elle a fait appel.
Une réduction mammaire qui se transforme en augmentation
Ses patientes s’en moquent, elles idolâtrent ce chirurgien qui leur prodigue des caresses sur la joue et les appelle «Ma chérie». «Même celles qu’il a un peu ratées», s’en amuse un confrère. Les éloges pleuvent : «Parfait, à l’écoute», «Grand professionnel», «Docteur exceptionnel», «Extraordinaire, résultats fabuleux», etc. Quelques-unes, toutefois, sont moins enthousiastes. Telle Marie-Pierre *, 44 ans, qui attend la décision de la chambre disciplinaire du Conseil de l’ordre des médecins devant lequel elle a porté plainte pour défaut d’information et non-respect du délai de réflexion de quinze jours. «Je suis allée le voir pour faire remplacer les prothèses mammaires qu’il m’avait posées huit ans plus tôt car l’une d’elles était rompue, relate-t-elle. Il m’a suggéré d’en profiter pour faire aussi les paupières qu’il trouvait “vraiment tombantes”, d’autant que, selon lui, ce n’était rien à faire.» Lors de sa première opération des seins, déjà, elle avait pensé qu’il poussait un peu à la consommation. «En regardant mon ventre, il m’avait proposé une plastie abdominale. Là, j’avais dit non.»
Se sent-il invulnérable ? Protégé par sa réputation et son entregent ? Toujours est-il que lui seul sait comment rendre ses «chéries» plus belles. Mieux qu’elles, parfois. Venue square Pétrarque en 2015 pour une réduction mammaire, Marie * a une surprise au réveil. Elle découvre que le chirurgien lui a, certes, retiré 87 grammes dans un sein et 42 dans l’autre, mais lui a aussi posé des prothèses de 200 grammes. La réduction s’est muée en augmentation. Le 21 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a donné raison à la plaignante et infligé une amende de 25 000 euros au docteur Ohana.
*Prénoms d’emprunt
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