
Pour Pimkie, c'est une question de survie. Pour le reste de la profession, un pacte avec le diable. Mardi 16 septembre, l'enseigne française d'habillement, passée à plusieurs reprises au bord du gouffre, a révélé avoir signé un partenariat avec le géant chinois de l'ultra fast fashion, en vue de commercialiser une collection de produits de la marque Pimkie sur le site de Shein. «Ce qui m'intéresse c'est de réussir Pimkie: on est en phase de retournement et Shein m'offre une opportunité, je n'ai pas d'autre possibilité», s'est justifié Salih Halassi, le président directeur général de Pimkie et propriétaire de la marque chérie des consommatrices des années 90.
Il est clair que l'enseigne n'a plus la dynamique de ses jeunes années. Fragilisée par une concurrence de plus en plus vive, Pimkie a dû fermer une partie de ses magasins. Son réseau ne compte plus que 197 points de vente en France, dont quelques-uns dans les Dom-Tom. Cette année, elle espère néanmoins atteindre les 150 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ce partenariat avec Shein doit lui permettre de doubler de taille, pour atteindre les 300 millions d'euros d'ici 2028, dont un tiers sur le digital. Et c'est sur ce point clé du e-commerce qu'intervient le géant chinois: en prêtant sa plateforme en ligne à la marque pour qu'elle commercialise les produits Pimkie dans 160 pays, en lui faisant bénéficier de sa chaîne logistique ultra performante, ainsi que de son système de production à la demande pour éviter les coûts de stocks.

Shein, lancé dans une course à la respectabilité
Pas question de dévoiler en revanche les contours de ce deal, qui serait davantage un investissement pour Shein que pour Pimkie. L'enseigne française n'a même pas souhaité préciser si ses ventes feraient l’objet du paiement de commissions, venant ponctionner le chiffre d’affaires. Car pour le patron de Pimkie, c'est avant-tout une planche de salut. «Sans digital fort, on aura des difficultés sur le physique», a ajouté Salih Halassi, avec en creux une menace à peine voilée sur son réseau, qui serait encore très fragile.
Dans la course à la respectabilité dans laquelle est lancée Shein, l'arrivée de Pimkie dans ses filets est objectivement une belle prise. Car l'enseigne compte encore malgré tout 750 salariés, et surtout près de 200 magasins. C'est à dire autant de maires, potentiellement inquiets de voir une enseigne de plus fermer boutique dans leur centre-ville, ou de bailleurs commerciaux préférant éviter qu'une nouvelle cellule se vide.
Mais Pimkie n'est pas la seule à céder aux sirènes du géant chinois. Via son programme Shein Xcelerator (anciennement Shein X), la plateforme se pose en bienfaiteur des petites marques de mode et des jeunes créateurs, dont elle se présente comme un «accélérateur de croissance». Déjà 21 marques, dont la Britannique Missguided, ont bénéficié de la première version du programme, lancée en 2021, ce qui leur aurait permis de réaliser 390 millions d'euros de chiffre d'affaires cumulé via la plateforme. «Nous allons au soutien des marques françaises et internationales. Une entreprise comme la nôtre peut bénéficier au prêt-à-porter français», déclare Quentin Ruffat, directeur des relations extérieures de Shein en France, alors que le programme révélé le 16 septembre a été lancé simultanément en France, Grande-Bretagne et Chine.
Le calendrier de l'annonce n'est pas anodin alors que les acteurs européens de la mode se mobilisent contre les plateformes chinoises
Mais le calendrier de l'annonce de ce nouveau programme ne doit rien au hasard. Moins d'une heure après la révélation de Shein, les acteurs européens de la mode unissaient leurs forces pour dire "stop" à l'ultra-fast fashion. Ce mardi 16 septembre, à l'occasion du salon parisien Première Vision, 22 fédérations européennes de l'habillement, représentant plusieurs dizaines de milliers de salariés, ont effectivement signé une déclaration commune pour enjoindre l'Union européenne à agir. «Nous demandons à la Commission européenne qu'elle accélère la réforme du code des douanes et supprime l'exemption des droits de douane sur les petits colis, qu'elle renforce les contrôles et sanctions, alors qu'on ne sait même pas si ces plateformes payent la TVA...», détaille Pierre-François Le Louët, coprésident de l'Union française des industries de la mode et de l'habillement (Ufimh).
Ces plateformes de mode ultra-expresse sont d'ores et déjà dans le viseur de l'Union européenne qui tente de ralentir leur progression. En s'unissant pour la première fois, les fédérations européennes de la mode appellent à un sursaut et une accélération du calendrier, alors qu'une première réforme, votée en juin, doit entrer en vigueur en 2028.
On ne va pas attendre 2028 : si Donald Trump a été capable de changer le jeu des tarifs en 3 semaines, on doit pouvoir accélérer nous aussi et ne pas attendre 3 ans de plus, revendique Pierre-François Le Louët.
Shein est devenu le 5e vendeur de mode en France
Ces derniers mois, Shein a été sanctionnée coup sur coup par les autorités françaises, pour un montant total d'amendes de 190 millions d'euros : 150 millions par la Cnil, pour sa gestion des données consommateurs en matière de cookies, et 40 millions d'euros par la DGCCRF, pour non respect des pratiques commerciales. «Tout ça dans un seul pays, ce n'est qu'un début», lance Pierre-François Le Louët, coprésident de l'Union française des industries de la mode et de l'habillement (Ufimh). Des amendes intervenues alors que le vote de la loi française anti-fast-fashion est attendu dans les prochains mois.
Or chaque semaine qui passe, ces marques grignotent un peu plus de terrain. Selon l'observatoire économique de l'Institut française de la mode (IFM), Shein se classe désormais comme le 5e vendeur d'habillement en France, tandis que Temu apparaît à la 15e position. Un autre classement réalisé par le cabinet Deloitte, place déjà Shein comme la quatrième marque de mode préférée des Français.

Un "acte de désespoir" pour Pimkie et du "cynisme absolu" de la part de Shein
L'annonce du partenariat signé par Pimkie n'a finalement pas tant surpris. Les observateurs s'attendaient à ce qu'une marque, plus fragile que les autres, pactise avec le géant chinois. «C'est un acte de désespoir», analyse un expert du commerce. Car si l'ex-enseigne de la galaxie Mulliez qui accusait 40 millions de pertes d'exploitation en 2023, est parvenue à éviter le redressement ou la liquidation judiciaire il y a presque un an, lorsque le tribunal de commerce de Lille a validé son plan de continuation, son retournement ne serait pas totalement acquis.
De son côté, Pierre-François le Louët, pense d'abord aux salariés de Pimkie, embarqués dans cette fuite en avant dont le résultat est difficile à prédire. Il souligne également «le cynisme absolu» de la démarche de Shein. «Si cette entreprise est en difficulté, c'est parce que des géants de la fast-fashion ont participé à les affaiblir et maintenant, Shein se présente en sauveur », s'agace-t-il. Un cercle vicieux, en somme. Reste à savoir si le choix de Pimkie participera à lutter contre le phénomène de "décommercialisation" en cours, en lui permettant de sauver son réseau de magasins, ou au contraire à l'accélérer.



















