Rétropédalage du gouvernement. Sur le plateau de France 2, le ministre de l’Économie, Eric Lombard, a annoncé ce jeudi 6 février suspendre l’abaissement du seuil d’exemption de la TVA pour les micro-entrepreneurs, une mesure votée dans le budget 2025, adopté définitivement par le Parlement cette semaine. Cette réforme – qui prévoyait d’abaisser à 25 000 euros le seuil de chiffre d’affaires à partir duquel les auto-entrepreneurs doivent appliquer la TVA –avait vivement fait réagir les indépendants. Face à cette fronde, l’exécutif temporise : une «concertation» sera prochainement lancée et, en attendant, la mesure est mise en suspens. «On aura le temps du dialogue», a insisté Éric Lombard.

Une annonce qui soulage évidemment les micro-entrepreneurs, nombreux à redouter un impact direct de cette réforme sur leurs prix et leur attractivité face à la concurrence. Pour Catherine Barba, entrepreneure et cofondatrice d’Envi (une école qui forme et accompagne les auto-entrepreneurs), si cette décision est «évidemment une bonne nouvelle», c’est surtout l’occasion pour les indépendants de renforcer leur développement commercial. «Plutôt que de subir ces changements, il faut en profiter pour mettre le paquet sur sa stratégie de prospection», insiste-t-elle.

Capital : La décision d'abaisser le seuil de la TVA a pris de court de nombreux indépendants. Vous y compris ?

Catherine Barba : C'est une décision qui est tombée brutalement, sans concertation, et qui témoigne d'une profonde méconnaissance du quotidien des travailleurs indépendants. Certes, dans d'autres pays, les seuils de TVA sont plus bas, et certains entrepreneurs s'en accommodent. Mais en France, beaucoup de micro-entrepreneurs sont déjà dans une situation fragile.

On parle de consultants, d'artisans, de freelances dans le digital ou la communication, et même de slasheurs, ces personnes qui combinent plusieurs activités pour équilibrer leurs revenus. Ce qui me frappe surtout, c'est que cette décision a été prise comme si ces travailleurs étaient tous des livreurs Uber ou Deliveroo, c’est-à-dire comme si les auto-entrepreneurs étaient des gens qui pouvaient changer plus facilement de travail en fonction des opportunités. Mais la réalité est bien plus large : il y a des centaines de milliers de professionnels concernés, qui exercent des métiers divers et qui cherchent avant tout à construire leur activité sur le long terme.

Cette mesure leur complique la vie et, surtout, elle ne prend pas en compte le fait que ces entrepreneurs jonglent déjà avec de nombreuses contraintes : ils font tout eux-mêmes, de la prospection à la gestion administrative en passant par la production de leurs services. Leur imposer ce seuil sans préparer un accompagnement adapté, c'est faire preuve d'une grande déconnexion avec le terrain.

C : C’est aussi taper une nouvelle fois sur les petits entrepreneurs ?

C.B. : Exactement. Pour ceux qui sont juste en dessous de ce nouveau seuil, ils devront, si la réforme est finalement mise en place après sa suspension, choisir entre absorber la TVA en réduisant leurs marges, ou la répercuter sur leurs clients en augmentant leurs prix. Et là, le risque sera double : soit ils gagneront moins, soit ils perdront des clients. Beaucoup vont aussi hésiter à dépasser ce seuil et pratiquer le «seuilling», c'est-à-dire limiter volontairement leur chiffre d'affaires pour éviter la TVA. Or, à quoi bon entreprendre si c'est pour s'auto-limiter ? L'objectif d'un indépendant, c'est d’abord de se développer et de prospérer, pas de s'imposer des barrières artificielles.

Et cette mesure s'ajoute à des hausses répétées des cotisations sociales. On est donc face à une double peine : des charges qui augmentent et des marges qui diminuent. Cela risque forcément de freiner le développement de ce segment d'entrepreneurs qui, pourtant, représentent un véritable gisement de croissance économique pour notre pays.

C : Cela semble donc assez difficile de sortir la tête de l'eau lorsque l'on est en auto-entreprise...

C.B. : La priorité absolue pour les indépendants, c'est de se concentrer sur l’aspect commercial. Trop d'entrepreneurs pensent que leur expertise suffit à les faire réussir, mais ce n'est pas le cas : si vous ne prospectez pas, vous n'avez pas de clients. Il faut donc mettre le paquet sur la prospection. LinkedIn est un outil formidable, mais il ne faut pas s'arrêter là : il faut aussi solliciter son réseau personnel, contacter d'anciens collègues, être présent dans des événements professionnels. Il s'agit de demander des mises en relation, de ne pas avoir peur d'expliquer ce que l'on fait et comment on peut aider.

Chez Envi, on accompagne ces entrepreneurs pour leur donner les bons réflexes commerciaux. On leur apprend à ne plus voir la vente comme une corvée, mais comme une compétence à maîtriser. Car la prospection et la vente, c'est comme un muscle : il faut l'entraîner chaque jour !

C : Pourtant, beaucoup d'indépendants travaillent seuls. Comment espérer réseauter ?

C.B. : L'isolement est l'un des plus grands dangers pour un indépendant. Travailler seul, c'est prendre le risque de s'essouffler, de manquer de recul et de soutien. C’est essentiel de s'entourer de personnes qui partagent les mêmes difficultés, qui donnent des conseils, qui stimulent et motivent. Aujourd'hui, le message que je veux faire passer aux micro-entrepreneurs, c'est qu'ils ont deux métiers : leur propre expertise, et la vente. Ceux qui n'ont pas conscience de cette réalité risquent d'avoir du mal à s'en sortir. Il faut anticiper, prospecter, se préparer, et ne pas subir ces changements. C'est la seule façon de s'assurer un avenir pérenne en tant qu'indépendant.