Les usines automobiles au service de l’armée, un vieux rêve revisité… Alors que la France réévalue sa stratégie de défense, le gouvernement pourrait-il s’appuyer sur la puissance industrielle de ses constructeurs automobiles pour réarmer rapidement le pays ? L'idée a de quoi séduire, alors que certaines chaînes de production ne tournent pas à plein régime, et que des sous-traitants sont en difficulté. Renault, Stellantis, et d'autres groupes européens ont même affiché leur volonté de participer à l’effort collectif. Mais pour les spécialistes, transformer les chaînes d’assemblage de voitures en lignes de production de matériel militaire ne se décrète pas aussi facilement… «Le vrai problème, ce n’est pas la capacité à produire, c’est la ressource financière», résume Arnaud Aymé, expert industrie du cabinet SIA Partners. Contrairement à l’automobile, qui repose sur un marché structuré avec des clients réguliers et des cycles de renouvellement d’achat bien établis, l’industrie de défense dépend des commandes publiques, souvent irrégulières et longues à formaliser. Résultat : difficile, sans visibilité budgétaire claire, d’attirer les investisseurs ou d’obtenir des prêts bancaires. «Il faut construire des usines, embaucher, acheter des matériaux… Qui paie, quand, et pourquoi ?», insiste-t-il.

Des missiles ou des blindés badgés Renault ?

Autre frein majeur : la complexité croissante des produits. Finie l’époque, lors de la Première Guerre mondiale, où Renault produisait en série ses chars FT dans ses usines. Aujourd’hui, les voitures modernes intègrent des milliers de composants spécialisés, souvent conçus et fabriqués à l’étranger et par des tiers. C'est ce que point la présidente de la Chambre Syndicale Internationale de l'automobile et du motocycle (Csiam) Athina Argyriou, et souligne ainsi que «l’industrie automobile est devenue une industrie d’intégration, d’assemblage, plus qu’une industrie manufacturière lourde». En clair : pour elle, transformer une ligne d’assemblage de Clio en ligne de production de missiles ou de blindés estampillés Renault est hautement irréaliste.

Donc plutôt que de viser les constructeurs eux-mêmes, c’est du côté des équipementiers comme Valeo, Forvia, OPmobility, Bosch, etc, que les experts voient une marge de manœuvre. Ceux-ci, ainsi que les PME de la sous-traitance, disposent d’une expertise technique pointue et d’une capacité à adapter leurs lignes de production. Mais ce serait surtout pour des composants et du consommable militaires simples ou fabriqués en grande série : munitions, obus, drones, châssis, capteurs, systèmes de propulsion... Athina Argyriou assure de plus que l’industrie auto pourrait effectivement être mobilisée pour produire des composants spécifiques destinés à l’industrie de défense, tels que des châssis renforcés inspirés des plateformes utilitaires actuelles, des systèmes de propulsion hybrides ou électriques adaptés à des véhicules militaires, ou des équipements électroniques spécialisés dérivés des systèmes avancés d’aide à la conduite déjà utilisés par les véhicules civils modernes. «L’automobile excelle dans la production à grande échelle. C’est là que réside son intérêt pour la Défense», note de son côté l’expert de SIA Partners. Ce dernier pense notamment à la possibilité de faire des prêts, voire des transferts de main d'œuvre d’une entreprise à l’autre. Car il y a certaines compétences techniques dans l’auto, des profils d’ouvriers qualifiés ou de techniciens, qui manquent dans le secteur de la Défense, cette industrie ayant subi une chute des commandes depuis la fin de la guerre froide.

Mobiliser l’industrie auto pour le réarmement national n’est pas une utopie

À l’étranger, plusieurs initiatives illustrent cette convergence possible entre auto et armement. General Motors fournit déjà des batteries pour véhicules militaires aux États-Unis. Toyota adapte ses moteurs pour des véhicules tactiques au Japon. Volkswagen collabore régulièrement avec l’industrie allemande de défense. Ces coopérations ciblées montrent que des ponts existent, à condition d’une volonté politique forte et d’un cadre industriel adapté.

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Les deux experts interrogés s’accordent sur un point : si une telle reconversion doit être envisagée, elle nécessite une planification rigoureuse, des investissements massifs et une coordination étroite entre les secteurs public et privé. L’idée d’un consortium industriel européen, à l’image d’Airbus pour l’aéronautique, revient avec insistance. Elle permettrait de mutualiser les compétences, sécuriser les financements et structurer un véritable écosystème de défense dual, capable de s’adapter aux urgences géopolitiques.

Une idée séduisante, mais loin d’être clé en main. Mobiliser l’industrie automobile pour le réarmement national n’est pas une utopie, mais certainement pas une solution miracle non plus. La transformation industrielle est possible, à condition d’identifier les bons leviers, de mobiliser les bons acteurs et, surtout, de dégager les moyens financiers à la hauteur des ambitions. Sans cela, l’automobile restera ce qu’elle est aujourd’hui : un géant industriel… aux chaînes bien huilées, mais pour d’autres combats.