
En attendant une nouvelle voiture électrique au menu, il faut se contenter d’un hamburger. Fin juillet, les néons du premier «Tesla Diner» se sont allumés à Los Angeles (Etats-Unis). Sur le parking, les clients peuvent recharger leur véhicule tout en regardant un film sur écran géant, comme dans les drive-in des années 1950. Une scène digne d’un âge d’or de l’automobile que Tesla n’a jamais connu, et que son créateur Elon Musk a voulu moderniser… Dans ce décor rétrofuturiste, la nourriture est en effet servie dans des boîtes en forme de Cybertruck, le dernier modèle de l’entreprise américaine.
Et, à l’étage de ce diner, c’est un robot humanoïde qui distribue du pop-corn. Ses gestes lents ne rivalisent pas encore avec ceux d’un serveur humain mais à terme, le groupe pense que l’automate pourrait séduire des dizaines de millions de foyers en accomplissant des tâches ménagères. Voilà donc les folles ambitions d’Elon Musk mises en scène dans cet étrange restaurant. Un sacré divertissement même si à la fin du repas, certains semblent rester sur leur faim, et réclament autre chose qu’un film de science-fiction.
Tesla : les investisseurs pleurent le "magicien" Elon Musk
A l’image de ces investisseurs qui, le 23 juillet, deux jours après l’ouverture du Tesla Diner, ont raccroché leur téléphone d’un air blasé. Le constructeur venait de leur présenter ses résultats financiers pour le deuxième trimestre 2025, son pire exercice en dix ans. «On avait l’impression d’un Elon Musk en sourdine plutôt que du magicien habituel», témoigne Josh Gilbert, analyste du courtier en ligne eToro. Il faut dire qu'auparavant, le champion de la voiture électrique avait habitué tout le monde à battre les records...
Entre 2014 et 2024, il a multiplié par 30 son chiffre d’affaires, à 97,7 milliards d’euros ! Ajoutez à cela une consécration obtenue au nez et à la barbe des autres constructeurs : en 2023, le Tesla Model Y s’était imposé comme la voiture la plus vendue dans le monde, toutes motorisations confondues, une première pour un modèle 100% électrique. Mais cette ère d’hypercroissance semblent appartenir au passé. Les livraisons de Tesla ont diminué de 13% au premier semestre 2025 sur un an. En Bourse aussi, l’enthousiasme a largement diminué : entre le 1er janvier et début août 2025, l’action affiche un recul de plus de 20%. Mais comment expliquer une telle disgrâce ?
Le vieillissement du catalogue Tesla plombe les ventes
Dans la boutique Tesla de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), trois voitures se battent en duel. Il manque juste la berline Model S lancée en 2012. Sinon, figure ici l’ensemble du catalogue disponible en Europe : le SUV Model X dévoilé en 2015, la berline Model 3 en 2016 et le Model Y en 2019. Certes, ces «ordinateurs sur roues» ont régulièrement bénéficié de mises à jour à distance, et aussi de restylages, comme le Model Y en 2025. Mais le vieillissement de la gamme commence à se voir. Si bien qu’il n’est plus possible de configurer un Model X ou un Model S sur le site français de Tesla : il faut se contenter des stocks disponibles.
«L'âge moyen d'une génération de voitures est de six à sept ans. Cette année, la plus jeune des Tesla a eu six ans», relève Felipe Munoz, expert de l’automobile. Il y a bien eu le Cybertruck présenté en 2023. Mais ce mastodonte de 5,7 mètres paraît invendable en Europe, pour des raisons d’homologation mais aussi parce que les automobilistes locaux s’intéressent peu aux pick-up. «Nous avons creusé notre propre tombe avec le Cybertruck», plaisantait d’ailleurs Elon Musk en 2023. Avec son design brut de décoffrage, le pick-up ne s’est vendu qu’à 10 700 unités sur les six premiers mois de 2025… très loin des 250 000 exemplaires annuels visés.
Ce suicide industriel a fait le bonheur des concurrents. Sur les cinq premiers mois de 2025, l’américain n’était plus que le sixième plus gros vendeur de voitures électriques en Europe, alors qu’il était deuxième un an un an plus tôt, selon des données d’Inovev. Le voilà doublé par Stellantis, BMW, Hyundai et Renault. Et BYD se tient en embuscade. «Le groupe chinois progresse rapidement et peut devenir un rival sérieux de Tesla en Europe», prévient Felipe Munoz.
D’autant que le petit catalogue de Tesla trahit une autre faiblesse. «Il manque un véhicule compact bon marché à 25 000 euros», s’étonne Karolyn Favreau, experte de l’automobile au cabinet OMS & Co. Les constructeurs français n’ont pas traîné pour sortir des citadines électriques. Résultat : les ventes de la Renault R5 et de la Citroën ë-C3 dépassent celles du Tesla Model Y en France au premier semestre. Une concurrence plus forte, il fallait s’y attendre. Mais c’est plus difficile à gérer quand un saboteur se niche au sein des équipes : Elon Musk en personne.
L'engagement en politique d'Elon Musk, source d'ennuis pour Tesla
Sur l’île d’Hawaï, les affaires vont bien pour Matt Hiller, dont la petite boutique en ligne propose d’étonnants stickers. «En février, j’ai réalisé plus de 100 000 dollars de ventes en 30 jours», témoigne-t-il. C’est un peu à cause de lui si des autocollants fleurissent désormais sur le pare-choc des Tesla, pour désapprouver Elon Musk : «J'ai acheté ceci avant qu'Elon devienne fou», «La ferme Elon !» ou, dans un style plus pragmatique, «Elon a tué ma valeur de revente». Autant de messages qui dénoncent le virage ultra-conservateur du directeur général de Tesla.
L’alliance avec le président américain Donald Trump n’a pas fait long feu, Elon Musk ayant quitté son poste au département de l'Efficacité gouvernementale en mai, après quatre mois de mandat. Mais ce passage éclair à la Maison-Blanche a suffi à transformer Tesla en épouvantail. A côté des autocollants inoffensifs, la marque a subi des conséquences plus fâcheuses : bornes de recharge incendiées, concessions taguées, vitres de voiture brisées et portières rayées… Certains conducteurs excédés par Elon Musk tiennent Tesla pour responsable.
En France, l’avocat Ivan Terel mène une action regroupant une dizaine de clients mécontents, qui estiment que la marque ne garantit plus «la jouissance paisible» de leur voiture. «Leur achat était motivé par des valeurs de progrès et ils se retrouvent avec un véhicule devenu un symbole de l’extrême-droite», argue Ivan Terel. En parallèle, les départs se sont multipliés chez Tesla, accentuant les inquiétudes sur la capacité d’Elon Musk à diriger le groupe, alors même que le patron doit piloter en parallèle son entreprise spatiale SpaceX et sa société d’intelligence artificielle xAI.
Mais Elon Musk a promis qu’il allait remettre les mains dans le cambouis. «Je me remets à travailler 7 jours sur 7 et à dormir au bureau si mes enfants sont absents», a écrit le dirigeant sur son réseau social X fin juillet. Sauf que l’entrepreneur s’intéresse désormais moins aux voitures qu’à l’IA. «J'ai résisté trop longtemps à l'intelligence artificielle. Vivant dans le déni. Maintenant, c’est parti.» On le croit d’autant plus que c’est en prétextant la vive concurrence pour s’arroger les talents de l’IA que le conseil d’administration de Tesla a proposé, début septembre, un plan de rémunération pouvant aller jusqu'à 1000 milliards de dollars sur dix ans pour son directeur général !
La voiture autonome, nouvelle obsession d'Elon Musk
En attendant, au Texas, les rues d’Austin sont devenues le théâtre d’un duel de voitures autonomes. Depuis mars, Waymo (filiale de Google) a déployé une centaine de véhicules roulant 24 heures sur 24. Un territoire désormais contesté par Tesla, qui a déployé ses premiers Model Y également sans conducteur en juin. Fidèle à ses objectifs grandioses, l’entreprise souhaite ouvrir ce service à la moitié de la population américaine d’ici fin 2025. «Tesla mise sur l’effet de masse, avec des millions de voitures déjà en circulation, récoltant des données et utilisant son logiciel Full Self Driving», arbitre l’analyste Josh Gilbert d’eToro.
En parallèle, Tesla prépare le lancement du Cybercab pour 2026 : un véhicule de deux places sans volant et promis à moins de 30 000 dollars. Voilà qui ressemble à un nouveau chantier ruineux, après l’échec du Cybertruck… surtout quand on sait qu’un jury américain vient d’infliger une amende de 242 millions de dollars à Tesla, dont le logiciel Autopilot défaillant a été reconnu responsable d’un accident mortel. «L’utilisation en mode 100% autonome du Cybercab va être très restreinte pendant quelques temps, ne serait-ce qu’en Europe», avertit Jamel Taganza, consultant chez Inovev.
Cela n’empêche pas le projet de faire partie des priorités d’Elon Musk, tandis que l’idée d’un véhicule à 25 000 euros semble avoir été remisée. Son raisonnement est le suivant : une voiture particulière n’est utilisée que 10 heures par semaine, soit 6% du temps, alors que la conduite autonome permettrait de mettre fin à ce gaspillage en mettant en mouvement les engins 100 heures par semaine, revenus à la clef. Le visionnaire Elon Musk n’a-t-il pas raison trop tôt ? «Il s’agit d’une vision à 15-20 ans. Que faire avant pour assurer la rentabilité ? C’est pour cela qu’une voiture électrique abordable aurait été pertinente», argumente Karolyn Favreau.
Même si Elon Musk insiste pour présenter Tesla comme une entreprise d’IA, «pour le reste de la décennie au moins, la vente d'automobiles restera sa principale activité», estime l’analyste Seth Goldstein, chez Morningstar. La période de transition s’annonce éprouvante, comme l’a résumé l’ingénieur en chef de Tesla, Lars Moravy, lors d’un événement dédié aux fans de la marque en juillet : «C’est difficile de changer le monde, mec.»
Quand la Maison-Blanche freine les ventes de Tesla
«Sans moi, Trump aurait perdu l’élection», grinçait Elon Musk après son départ du gouvernement américain. Ironiquement, cette victoire n’a pas fait que du bien à Tesla. Au deuxième trimestre, les barrières douanières érigées par l’administration Trump ont coûté 300 millions de dollars à l’entreprise, qui dépend, comme ses concurrents, de composants fabriqués en-dehors des Etats-Unis. Le texte budgétaire «One Big Beautiful Bill» prévoit aussi de mettre fin aux 7500 dollars de subvention accordés pour l’achat d’une voiture électrique neuve, ce qui pourrait évidemment freiner les ventes de Tesla. Pas écoeuré par la politique, Elon Musk a annoncé en juillet le lancement de son propre parti. Une nouvelle distraction qui inquiète les investisseurs. Dan Ives, analyste star chez Wedbush et fervent soutien de Tesla, a suggéré que l’entreprise mette en place des garde-fous pour s’assurer que le patron passe un minimum de temps chez Tesla en échange de sa rémunération.
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