
Dans la première partie de notre enquête nous posions un premier constat : les importations d'œufs étrangers augmentent. Cette progression concerne à la fois les œufs coquilles et les ovoproduits (blancs ou jaunes d'œufs liquides, œufs cuisinés, etc.). Toutefois, cette dynamique doit être nuancée selon le type de produit. Du côté des ovoproduits, la balance commerciale reste excédentaire : en d'autres termes, les exportations continuent de croître, ce qui compense partiellement la hausse des importations. Mais ce n’est pas le cas pour l'œuf coquille : les importations augmentent mais les exportations diminuent en 2024.
Alors, comment justifier ces importations ? Certes, la production augmente mais pas au même niveau que la consommation toujours plus importante des Français. Face à une inflation des prix des protéines carnées, l'œuf reste une alternative économique, largement plébiscitée. En France, la consommation globale par habitant s’est établie à 224 œufs sur l’année 2023. «Un chiffre jamais atteint ces 20 dernières années», détaille le CNPO.
«La part d’œufs d’origine étrangère est plus importante dans les ovoproduits car ils sont plus faciles à transporter» souligne Yves Le Morvan, directeur «Filières et Marchés» au sein d’Agridées, think tank rassemblant les acteurs du monde agricole et agroalimentaire. En effet, ceux-ci étant transformés, ils ont une durée de conservation plus longue. À l’inverse, «dans les réseaux de grande distribution, de par la fragilité et l’exigence de proximité souhaitée par les consommateurs, les œufs coquilles restent très majoritairement français», souligne-t-il.
Une transformation des élevages à ne pas négliger
Un autre facteur pouvant expliquer ces importations tient à la transformation en cours des élevages. En France, la proportion de poules pondeuses élevées en cage a significativement diminué ces dernières années, sous l’impulsion des textes législatifs. La filière œufs s’est même fixé pour objectif d’atteindre 90 % de poules élevées en systèmes alternatifs (au sol, en plein air…) d’ici 2030. Mais ces changements ne sont pas sans conséquences : ils engendrent des coûts, aussi bien financiers que logistiques.
«Les bâtiments de poules en cage qui sont transformés, soit en agrandissant les cages, soit en un autre type d’exploitation, font perdre un volume important aux éleveurs», explique le président du CNPO. Un réaménagement qui pourrait aussi modifier le marché sur le long terme ? Comme l’explique Thierry Pouch, économiste, responsable du service études économiques et prospective à Chambres d'agriculture de France, certaines de ces anciennes cages, qui ne sont plus aux normes françaises, «sont désormais vendues à des pays hors de l’Union européenne, qui eux-mêmes exportent leurs œufs sur le marché européen».
Ces évolutions posent aussi la question de l’avenir des exploitations. Vincent Chatellier, ingénieur de recherche en économie à l’Inrae, alerte sur les risques à moyen terme : la production dans la filière œuf est aujourd’hui «proche de l’équilibre», mais rien ne garantit que cela durera. «Il y a un véritable enjeu autour du renouvellement des exploitations, détaille l’économiste. Toute une génération d'éleveurs approche de la retraite, et certains disposent d’infrastructures trop vétustes pour être réutilisées. Si nous n’investissons pas dans des bâtiments agricoles modernes et neufs, nous risquons de rapidement perdre en souveraineté.»
Industriels contre petites fermes ?
Une crainte que partage Philippe Goetzmann, consultant et spécialiste de la consommation et du commerce de détail. L’ancien dirigeant de grandes surfaces s’inquiète des difficultés d’installation de certains éleveurs qui souhaitent se lancer. L’ancien dirigeant de grandes surfaces constate des difficultés d’installation de certains éleveurs qui souhaitent se lancer. Un défi symptomatique dans le monde agricole. Selon le spécialiste, se crée alors un déséquilibre. La demande augmente, mais l’offre ne peut pas suivre. «Ça pose une vraie question sur la souveraineté alimentaire : on devra encore importer des œufs qu’on ne pourra pas produire».
S’ouvre alors un paradoxe. Certains éleveurs n'arrivent pas à vendre tous leurs œufs coquilles… C’est notamment le cas de la ferme Carré, dans l’Eure, et son petit élevage de 900 poules. «Pour limiter les risques sanitaires, comme la salmonelle, les professionnels comme les boulangers ou restaurateurs, sont encouragés à acheter des ovoproduits au détriment des petites fermes indépendantes qui produisent uniquement des œufs coquilles», déplore l’éleveuse Pauline Carré. Peinant à trouver preneur dans les alentours de sa commune des Bottereaux, reste alors un surplus de stock… Une alerte que la ferme a partagée sur Facebook le 24 mars, lui valant de recevoir de multiples commentaires de soutien. La ferme se dit perplexe mais reste «déterminée» pour écouler les milliers d'œufs qu’elle produit par semaine.
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