
Dans les médias, sur les réseaux sociaux… Ces images de rayons d’œufs à moitié vides vous les avez nécessairement vues tourner. Symptôme d’un ralentissement de la production ? Pas vraiment si l’on en croit les derniers chiffres de FranceAgriMer*. La production filière française de l'œuf a enregistré en février 2025 une hausse de 3% par rapport à l’an passé. Pour rappel, d’après les données du Comité national pour la promotion de l’œuf (CNPO), en 2023, la France était le premier producteur d’œufs en Europe avec un rendement d’environ 930 000 tonnes.
A l’inverse, la chasse aux œufs continue aux Etats-Unis. Quelle que soit la façon de les cuisiner, l’addition reste la même : une augmentation de 58 % du prix sur un an. Cette hausse constatée, entre mars 2024 et mars 2025, est chiffrée par le Bureau des statistiques du travail (BLS). En cause ? Une pénurie due à une épidémie de grippe aviaire particulièrement virulente. Pour endiguer cette envolée des prix - et remplir les rayons - l’administration Trump s’est tournée vers l’Europe, la Corée du Sud et la Turquie. Depuis des centaines de millions de tonnes d'œufs ont été importés, quantifie la ministre de l'Agriculture américaine, Brooke Rollins. Mais une dépendance aux importations - aussi temporaire soit-elle - souligne la fragilité du modèle américain face aux crises agricoles. Plus largement, elle pose surtout la question de la sécurité alimentaire, pilier essentiel de la souveraineté alimentaire.
La souveraineté alimentaire, mais de quoi parle-t-on ?
Concept aux dimensions politiques, économiques et sociales, la souveraineté alimentaire implique qu’un pays puisse définir ses propres politiques agricoles pour garantir la sécurité alimentaire (accès durable à une alimentation suffisante, saine et nutritive). Le gouvernement français, dans le cadre du projet de loi d’orientation agricole, la mesure via des indicateurs comme le taux d’auto-approvisionnement, la dépendance aux importations ou la capacité d’exportation. L’auto-approvisionnement désigne la capacité à couvrir les besoins alimentaires d’un pays par sa propre production.
Une production française à flux tendu
Contrairement aux Etats-Unis, d’après l’interprofession française de la filière, le risque de pénurie est écarté en France. Toutefois, le CNPO reconnaît que depuis quelques mois le marché français et européen connaît «des périodes de tension périodiques», indique Yves-Marie Beaudet. Pour l’expert ovicole, les médias ont aussi une part à jouer dans la rarification des boîtes d'œufs dans les étagères des grandes surfaces. «Quand ils ont vu certains rayons clairsemés en partie à cause de la hausse de la demande, certains médias ont pu parler de pénurie d'œufs. Ce n’est pas vrai. Pour autant, cela a eu pour conséquence d’augmenter la pression sur la filière car les personnes qui ont vu cette information achètent plus d’œufs que d’ordinaire et d’augmenter la pression», développe Yves-Marie Beaudet.
Le marché mondial de l'œuf reste perturbé par les épisodes successifs de grippe aviaire, mais la production française résiste. Après avoir été durement touchée en 2022, la filière française - qui avaient dû abattre des millions de volailles - a depuis opté pour la vaccination pour faire face à l’épidémie. «Grâce à la vaccination des canards débutée en 2023, espèce particulièrement vulnérable au virus [l'influenza aviaire hautement pathogène], le nombre de contaminations dans la filière a drastiquement baissé», souligne le président du CNPO. Depuis, le taux d'auto-approvisionnement remonte mais la vigilance reste de mise.
Le 21 mars 2025 la France est passée au niveau «modéré» pour l’influenza aviaire, ce qui signifie que des foyers de contaminations ont été détectés dans certaines zones, mais ils sont encore limités ou peu nombreux. Depuis quelques mois, les regards sont tournés vers d'autres foyers de grippe aviaire en Europe. Selon les dernières données de la plateforme de veille sanitaire internationale Esa, 23 nations européennes ont enregistré des cas depuis août 2024. Parmi elles, la Hongrie avec 258 foyers signalés, suivie de la Pologne (97 foyers), de l'Italie (56), du Royaume-Uni (45) et de l'Allemagne (28).
Un recours aux importations qui augmente
En 2024, la production d'œufs français reste à un niveau d’autosuffisance en deçà d’une autonomie totale. Selon les données de FranceAgriMer, ce taux s’élève à 99%. La filière produit presque autant que ce que les Français consomment. Toutefois, comme l’explique Simon Fourdin, directeur du pôle socio-économie de Itavi, organisme de recherche de la filière agricole, il faut nuancer. «Idéalement, il faut dépasser les 100%, car en cas de rupture, être juste à l’équilibre ne suffit pas», souligne l’ingénieur.
Alors comment contrebalancer ce 1% manquant pour atteindre l’équilibre ? Comme le résume, Simon Fourdin : «Globalement, ça veut dire qu'on est obligé de compenser par de l’import pour subvenir aux besoins de notre consommation». En effet, d’après les données de FranceAgriMer, ces importations augmentent. Entre janvier 2024 et janvier 2025, les livraisons étrangères ont augmenté de 23,9%. De l’autre côté de la balance, les exportations françaises d’œufs et d’ovoproduits à usage alimentaire ont légèrement reculé (-3,1%).
Il est important de rappeler que la filière française de l’œuf ne se limite pas au marché de l’œuf coquille. «Sur le marché intérieur et mondial, il ne faut surtout pas négliger les ovoproduits [produits transformés à base d’œufs (jaune ou blanc liquide, œufs entiers pasteurisés…)] principalement utilisés par les industries agroalimentaires», précise Vincent Chatellier, ingénieur de recherche en économie à l’Inrae. D’ailleurs, comme le soulève l'expert, «c'est la filière des ovoproduits qui permet de faire des ajustements avec le commerce. Par exemple, en France, la balance commerciale est excédentaire en ovoproduits, mais est déficitaire en œufs coquilles».
*Etablissement public sous tutelle du ministère de l'Agriculture, chargé de soutenir les filières agricoles et de la pêche via des aides financières et analyses économiques.
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