
C’est l’effet papillon : une petite chose au départ aux conséquences graves à l’arrivée. En l’occurrence la plaidoirie d’un avocat entre les murs d’un tribunal américain, qui fait vaciller Lindt, un groupe qui a réalisé 5,2 milliards de francs suisse en 2023 (5,5 milliards d’euros). Alors que les arguments avancés devaient permettre au chocolatier suisse d’échapper à un procès pour publicité trompeuse au pays de l’Oncle Sam, leur révélation sur la place publique menace d’anéantir des années d’investissement sur sa marque.
Il faut dire que, dans l’affaire qui le concerne, Lindt a choisi une ligne de défense périlleuse, dont les arguments résonnent déjà dans le monde entier. Alors qu’une association de consommateurs avait trouvé des traces de métaux lourds dans deux tablettes de chocolat de la gamme Lindt Excellence et attaque l’entreprise pour avoir violé les règles d’étiquetage, ses avocats ont soutenu que l’appellation d’excellence n’était que «poudre aux yeux» et «fanfaronnade». Embêtant pour une marque qui a fait de la qualité suisse son étendard.
Trompés par le discours «fabriqué de manière experte avec les ingrédients les plus fins»
Tout a commencé en 2022 avec la publication d’un rapport de l’association américaine de défense des consommateurs Consumer Reports, révélant la présence de cadmium et de plomb dans plusieurs tablettes de chocolat noir vendues dans le commerce. Or sur les 10 références épinglées, deux produits appartenaient à la gamme Lindt Excellence. Bien qu’en conformité avec la réglementation en vigueur, les niveaux détectés ont conduit des consommateurs à intenter une action collective en février 2023. Ces plaignants affirment avoir été trompés par les slogans de la marque, comme «fabriqué de manière experte avec les ingrédients les plus fins» et «excellence», qu’ils jugent incompatibles avec la présence de ces substances. Quand bien même les niveaux relevés chez Lindt étaient loin d’être les plus élevés.
Depuis leur siège en Suisse, les porte-paroles du groupe clament haut et fort que leurs produits respectent toutes les normes sanitaires. «Aux États-Unis, et plus particulièrement en Californie, le chocolat noir doit faire l'objet d'une déclaration. Lorsqu'un produit contient du cadmium et/ou du plomb en quantités supérieures à une limite définie, il doit déclarer ces substances. Le chocolat Lindt ne dépasse pas ce seuil», assure la marque par communiqué. Plus généralement, l’entreprise garantit la qualité des produits qu’elle commercialise : «L'ensemble de notre gamme de produits est conforme à toutes les normes de sécurité et exigences de déclaration applicables et peuvent être consommés en toute sécurité», promet la société.
Les traces de métaux lourds dans certains chocolats sont explicables
La question de la présence de plomb ou cadmium est également de nature à inquiéter les consommateurs prenant connaissance du cas américain. L’association des confiseurs américains (NCA) avait toutefois tenu à expliquer leur origine et rassurer sur la faiblesse des niveaux évoqués. «Une enquête d'experts […] a conclu que le cadmium et le plomb sont présents dans le cacao et le chocolat à cause de la terre et que le nettoyage des fèves lors du traitement réduit leur présence», a-t-elle rappelé. Les niveaux mesurés par Consumer Reports seraient «bien en deçà des limites fixées» par des accords industriels stricts.
Alors, la marque s’est-elle "tirée une balle dans le pied" ?
Si les traces de plomb sont effectivement très faibles, l’affaire prend une toute autre tournure au vu de la défense choisie par les avocats de Lindt qui, en prenant le parti de décrédibiliser le discours de la marque, menace son positionnement global. Et ce, alors que d’autres plaidoiries semblaient envisageables. «Si j’avais dû les défendre, j’aurais probablement pris un axe plus mesuré, en expliquant que le terme Excellence, est vague et subjectif, qu’il n’est pas mesurable et donc n’engage à rien de précis : les tablettes peuvent rester excellentes au goût, tout en contenant des traces de ces substances», estime une avocate, spécialisée en droit de la concurrence, consommation et distribution, interrogée par Capital.
Quoi qu’il en soit, l’orientation choisie pourrait avoir de lourdes conséquences. «Leur ligne de défense est un peu curieuse, ils se tirent une balle dans le pied : si l’avocat reconnaît que c’était inapproprié de commercialiser des produits sous ce nom-là, il ouvre la voie à devoir en changer, ce qui pourrait avoir des conséquences dans le monde entier et leur coûter très cher, sans doute des millions s’il faut rappeler les produits, changer de marque ombrelle, modifier les packagings, déposer la nouvelle marque dans de nombreux pays…», précise l’avocate.

Pierre angulaire du succès mondial de Lindt, "Excellence" est également championne en France
Rayer la marque «Excellence» des tablettes sur tous les continents ? Ce serait effectivement très préjudiciable. Cette gamme commercialisée dans le monde entier est un des fleurons de la société, qui se félicite chaque année de sa croissance et du développement du nombre de références.
En France, aussi, ce serait une vraie tempête, surtout à quelques semaines de Noël qui est une période faste pour le secteur, tout comme Pâques. Au rayon des tablettes de chocolats, où la marque règne en maître, ses déclinaisons Lindt Excellence comptent bien plus de références que Lindt Creation ou Lindor, deux de ses autres marques filles, et s'imposent face aux gamme de Nestlé, Milka ou de l'italien Ferrero. Dans son rapport annuel, le Suisse a rappelé que la gamme Excellence était la pierre angulaire de son succès dans l’Hexagone, soulignant le lancement réussi de la ligne Pailleté, goûts gaufrette ou dentelle, lui ayant valu de recruter de nouveaux consommateurs et d’apparaître dans le classement des 10 meilleurs lancements, dressé par le panéliste NielsenIQ. Si les tablettes du géant suisse semblent exemptes de métaux lourds, c’est toute sa stratégie marketing qui a désormais du plomb dans l’aile.



















