Ce n’est pas gagné, loin de là. Les efforts additionnés de la ministre du logement, des familles professionnelles de la filière, des représentants des propriétaires, et même la conviction du ministre de l’économie donnent confiance, certes, et les chances que le statut fiscal de l’investisseur locatif privé -qui consisterait à pouvoir amortir son logement- ont sérieusement augmenté ces derniers mois. Une mission parlementaire confiéz en particulier à un ancien ministre du logement, aujourd’hui sénateur du Nord, Marc-Philippe Daubresse, témoigne que le dossier est officiellement ouvert, avec la perspective claire du projet de loi de finances pour 2026.

Pourtant, il reste des hypothèques à lever. D’abord le calcul définitif du coût en termes de moindres rentrées fiscales instantanées, même si les retour en ressources fiscales ne font pas de doute à terme. Notre situation budgétaire est tellement dégradée que Matignon est tenté de raisonner à courte vue sans pouvoir se projeter. Et puis il y a l’administration de Bercy, si souvent désignée à la vindicte. Le mérite-t-elle? Elle n’a pas de goût marqué pour l’immobilier, sans conteste, et dans le Président Macron elle a trouvé depuis huit ans un allié de premier choix… En outre, elle n’aime guère le changement ni l’innovation, sauf si le rapport en est immédiat.

Quel taux d'amortissement ?

Surtout, l’amortissement des biens locatifs constituera s’il voit le jour une victoire idéologique : enfin, l’immobilier locatif traditionnel sera assimilé à une activité productive à part entière! Il faut se méfier aussi des victoires à la Pyrrhus, spécialité de Bercy… Le diable est dans le détail en matière de fiscalité. Quel taux d’amortissement par exemple? Trop bas, il enlèvera tout intérêt à l’affaire. Quelle déductibilité des charges? Quelles modalités de taxation de la plus value à la revente du bien? Le passage au parlement pourrait aussi faire mal… On entend déjà les pourfendeurs du grand capital se tromper de combat : on parlera des Français moyens qui investissent dans un logement dans une vie, et on nous brandira les rares qui pourront en acheter trois ou quatre, haïssables par principe.

Face à ces risques, les promoteurs du statut parlent création de richesse fiscale, emplois, abondement de l’offre locative, aujourd’hui cruellement insuffisante. L’essentiel est encore ailleurs. La France vient sans doute de connaître la dernière génération, c’est-à-dire les vingt ou vingt-cinq dernière années de déploiement actif et enthousiaste de la propriété occupante. Leur taux, après avoir cru de façon ininterrompu au cours des deux décennies passées, régresse. Il est peu probable qu’il reparte de sitôt à la hausse, pour des raisons de fond. Le coût de l’endettement d’abord ne redeviendra jamais aussi léger qu’il a pu l’être, et c’est très bien ainsi pour la solidité et la santé du système bancaire. En attendant, à 3%, qui deviendront 2,5% sans doute dans les douze mois, mais certainement pas 1%, une fraction significative de la population, dont les revenus stagnent, reste éloigné de l’accession à la propriété, mécaniquement.

Une fiscalité locale déséquilibrée

Ensuite, notre pays et le monde présentent le visage peu rassurant de zones instables et illisibles, à des candidats à l’accession qui ont besoin de visibilité et de réassurance. On est loin du compte à cet égard! Chez nous, chaque jour, le gouvernement menace d’être renversé par une motion de censure, pour une cause vénielle ou pour un avoir abordé un tabou. Des projets ou des propositions de loi d’intérêt général, notamment pour le logement, qui échouent lamentablement parce que même sur des questions de société les groupes politiques peuvent décider de ne pas s’accorder. Quant au contexte géopolitique international, il est miné : les risques d’extension du conflit ukrainien existent toujours et les choix stratégiques du Président Trump, qui hérisse des barrières douanières protectionnistes, met en péril la plupart des entreprises françaises et fragilise notre emploi. Tout cela obère la sérénité des ménages et les empêche de se projeter à une échéance de quelques années, sans parler de la durée d’un crédit.

Une autre raison pour laquelle la propriété occupante va reculer inexorablement est son coût de fonctionnement. La fiscalité locale est déséquilibrée depuis la suppression de la taxe d’habitation et la taxe foncière n’a pas fini d’augmenter. Les contraintes, fussent-elles salutaires, de rénovation environnementale des logements, créent une charge que beaucoup de primo-accédants et d’accédants tout court ne peuvent assumer. Les charges courantes s’alourdissent toutes dans le même temps, singulièrement en copropriété.

Le statut de locataire, le seuil qui vaille pour une part croissante des Français

Enfin, le rapport des Français à la propriété, que tous les sondages s’évertuent à montrer intact, ne l’est peut-être pas… L’obligation de mobilité pour le travail fait mauvais ménage avec la viscosité de la propriété, en grande partie à cause de la fiscalité de l’achat, avec des droits de mutation de près d’un dixième du prix du bien. L’instabilité des structures familiales, qui se disloquent aujourd’hui plus facilement que jadis, plaise aussi pour des achats différés au moment où les acquéreurs ont le sentiment d’une certaine solidité sentimentale, de plus en plus tardive. Sans compter le goût pour la jouissance, qui prend lentement mais sûrement le pas sur celui de la détention, certes davantage chez les catégories socio-professionnelles supérieures d’abord, mais pas seulement. En clair, les enquêtes ne mentent pas, les enquêtés expriment leur croyance profonde, sauf qu’il y a de plus en plus loin de la coupe aux lèvres.

Pour ces raison fortes, le statut de locataire va prendre une importance qu’on a tout fait pour lui faire perdre. On a sincèrement voulu, collectivement, une France de propriétaires de leur résidence principale, sécurisés par leur patrimoine, ancrés dans la vie en quelque sorte, pour qui la perspective économique de la retraite est moins inquiétante. On n’y est pas parvenu, et même on a amorcé le chemin inverse. C’est donc sur les propriétaires investisseurs qu’il faut désormais compter pour assurer l’offre de logement qui convient à notre siècle, en tout cas à la génération du moment et probablement à la suivante. Sans un statut attractif et équitable, on ne les mobilisera pas par centaines de milliers. L’enjeu est lourd, plus lourd qu’on ne le pensait lorsque la filière, il y a déjà plusieurs années, a demandé aux pouvoirs publics une considération fiscale de droit commun pour les ménages investisseurs. Ne pas bâtir ce régime ne freinera pas uniquement le déploiement du parc locatif, mais compromettra durablement la possibilité de loger les Français. Car le vrai sujet n’est plus désormais de favoriser le statut du bailleur. Il est de permettre d’avoir le statut de locataire, le seul qui vaille pour une part croissante de nos compatriotes, qu’on le veuille ou non.