On s’était habitués à ce que l’État soit plus sage que les acteurs de l’immobilier et du logement. On avait fini par penser que sans le contrôle et la modération des pouvoirs publics le secteur dériverait et ne jouerait plus son rôle avec l’équité et l’efficacité nécessaires. C’est aujourd’hui l’inverse qui se constate : les entrepreneurs, les associations témoignent d’un esprit de responsabilité et d’un engagement étonnants, qu’il faut aller voir sur le terrain pour mesurer combien la filiale porte l’espoir d’une relance de l’immobilier. Combien aussi, plus que jamais, elle est solidaire, des métiers de l’aménagement et de la production à ceux des services, agents immobiliers, administrateurs de biens, notaires ou encore géomètres experts… et banquiers, alors que les intérêts corporatistes pourraient l’emporter dans une période aussi difficile et fissurer le front. Même les bisbilles identitaires se taisent.

Solidarité à des fins supérieures, pour innover, pour faire baisser les prix et rendre le logement abordable, pour faire gagner la transition environnementale. Une illustration sur un territoire dont on parle trop peu, l’Auvergne, terre discrète et terre de conviction : la Chambre FNAIM locale tenait près de Clermont-Ferrand, à Royat, son assemblée générale annuelle et aucune profession de la filière ne manquait à l’appel. Pas un seul discours d’abattement, et un élan sans faiblesse pour redresser la situation du logement, sur un territoire aussi malade que les autres du manque d’offre locative et d’un ralentissement dangereux des transactions, alors même que les prêteurs sont là-bas plus qu’ailleurs au rendez-vous de l’histoire, pour financer l’accession, l’investissement et la rénovation des immeubles en copropriété. Pas de plaintes, mais une attente : que le parlement et le gouvernement soient assez adultes pour qu’au bout du compte soit voté le budget de la France, comportant les quelques dispositions favorables au logement. La filière est l’arme au pied.

Loi spéciale ? Ordonnances ? «C’est là qu’il va falloir que nos décideurs publics fassent preuve de responsabilité»


Quelles mesures ? Celles que l’Assemblée nationale a imaginées, avant que le Sénat ne les vote sous leur forme la plus puissante, sans les nombreuses altérations apportées par des amendements sans logique et le plus souvent idéologiques. Un prêt à taux zéro encore amélioré par rapport à celui du précédant budget, qui soit élargi aux accédants en bail réel solidaire et avec des prix de référence majorés -ils n’ont pas été revus depuis dix ans-, un amortissement (voté dimanche) des achats de logements à destination locative neufs et anciens à des taux corrects -3,5%  pour les premiers et 3% pour les seconds, avec des majorations de 1% voire de 2% en cas de loyers sociaux ou très sociaux dans le neuf et de 0,5% ou 1% dans l’ancien, et une enveloppe d’imputation des déficits du déficit fonciers sur le revenu global doublée par rapport à ce qu’elle est -soit 21400€ demain-, une exonération de droits de donation jusqu’à 100 000€ élargie à l’achat de logements existants, un raccourcissement de la durée de détention des biens pour exonération de taxation de plus value de cession, l’exclusion du logement locatif de l’impôt sur la fortune immobilière (disposition votée le 29 novembre par la Haute Assemblée) et une enveloppe suffisante pour MaPrimeRénov.

Il restera que ces dispositions, si elles sont effectivement toutes votées par le Sénat, devront survivre à deux étapes, le passage en commission mixte paritaire, avec sept députés et sept sénateurs qui se mettent d’accord sur les mesures n’ayant pas été votées dans les mêmes termes entre les deux Chambres, puis l’ultime lecture par les députés, qui ont le dernier mot. Peut-être même, en cas de rejet par l’Assemblée nationale, le gouvernement devra-t-il sortir le joker de la loi spéciale ou des ordonnances. C’est là qu’il va falloir que nos décideurs publics fassent preuve de responsabilité. S’ils ne le faisaient pas, les Français ne le leur pardonneraient pas et la sanction serait sans précédent dans les urnes, l’abstention constituant la protestation la plus violente. Il faut un sursaut de conscience chez nos élus et nos ministres.

Logement : Vers «un plan de relance qui pourrait bien être l’un des plus puissants conçus depuis longtemps»?


Enfin, l’innovation doit être encouragée, et les textes civils, non budgétaires, doivent libérer les énergies. À cet égard, Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement, parle d’or quand il évoque une loi spéciale inspirée de celle qui a été promulguée pour accélérer l’édification du Village Olympique à Saint-Denis ou promet un élan de simplification, ou encore considère qu’il faut assouplir le calendrier de rénovation énergétique des logements locatifs menacés d’interdiction de location. On entend aussi que le gouvernement serait ouvert à obtenir du Haut Conseil de stabilité financière qu’il ajuste ses critères d’octroi des prêts immobiliers, notamment pour que les loyers à venir soient pris en compte dans le calcul de solvabilité des investisseurs. Il serait également disposé à travailler à un meilleur équilibre des rapports locatifs, en rouvrant le dossier de la révision des charges récupérables -figées par un décret de… 1987 !- et en sécurisant mieux les propriétaires contre les impayés de loyer.



On voit bien que le logement est le sujet le plus consensuel, ou le moins clivant si l’on veut être plus modéré, et qu’il peut donner lieu à un plan de relance qui pourrait bien être l’un des plus puissants conçus depuis longtemps. Ce résultat vital pour la paix sociale et pour les rentrées fiscales d’un pays exsangue dépend d’une seule chose : la sagesse retrouvée de nos élites politiques. Sans doute d’ailleurs le chaos que vit la France doit-il l’incliner à se demander comment des femmes et des hommes à qui les rênes d’un pays sont confiées peuvent prendre à ce point le sens de l’intérêt supérieur de la nation… Une raison : la fin du cumul des mandats et l’arrivée aux affaires, parlement et gouvernement -qui recrute ses membres le plus souvent à l’Assemblée et au Sénat-, de femmes et d’hommes hors sol, trop loin des réalités. Revenir sur l’interdiction d’un mandat national et d’un mandat local est pour la France une question de vie ou de mort de la politique et du pays, spécialement pour le logement, qui s’accommode mieux du pragmatisme que de la métaphysique.